• Atonie

    Ce que je définis comme le sentiment d'atonie, c'est de ne rien ressentir, comme une pelure, une enveloppe vide. Quand les émotions déchirent et qu'il faut éteindre ce feu qui est dans le cœur sous peine d'être dévorée par un maelström de vide.

    Le texte qui suit s'appliquait à moi durant tous ces jours sans vie, gris, mornes, fades, où chaque battement de cœur était une souffrance, chaque respiration un supplice et chaque geste un effort surhumain. A ces jours où je ne pouvais plus sourire sans avoir l'impression de me cacher derrière un horrible masque d'argile... Ces jours où je ne parlais plus. Lorsque le cœur explose de douleur dans la poitrine et que personne ne voit rien... Parce que l'humain est aveugle.

     

    Atonie dans sa tour de pierre sombre, regarde le paysage ravagé autour d'elle.

    La tornade est pourtant passée. Elle a tout emporté sauf les froides pierres grises et Atonie règne en maîtresse incontestée sur cette étendue de vide. Elle sait sa présence éphémère.

    Elle contemple les résultats de son accession au pouvoir après la guerre. Le sang coulait pendant la débâcle, parce que Peur et Douleur se partageaient le pays et le sol se lézardait de profondes fissures qui laissaient couler du feu brûlant. Le feu dévastait tout, brûlait dans ses langues brillantes le chaume des toits, le bois des charpentes et les pierres des murs, l'argile, la vase et même l'eau des rivières n'avaient pu échapper aux flammes de la souffrance. Tout était parti en cendres. Même les vers de terre n'avaient pu survivre.

    Atonie s'était levée alors.

    Atonie avait marché dans le feu et chacun de ses pas avait guidé la tourmente de glace qui avait commencé à éteindre le feu. Peur avait reculé, crachant, livide, félin acculé qui montrait inutilement les crocs. La grêle l'avait détruit. Cette immense tourmente portait le nom de Désespoir.

    Désespoir, après une période de furie, avait laissé le feu se rallumer, en grandes bannières bleues et froides qu'elle avait emporté dans ses blizzards, tandis que la température baissait. Et les charognards volaient en cercle au dessus des charniers.

    Les vautours se délectaient de la chair des morts.

    Désespoir avait emporté les vestiges que Peur et Douleur avaient laissés intacts. Douleur s'était enfermés dans les caves les plus sombres, attendant pour sortir que Désespoir soit passé. Puis ils avaient conclu un marché et s'étaient associés...

    Plus un enfant ne criait, plus un animal ne fuyait, les feux de la Douleur les avaient tous tués. Que ce soit par la fumée ou par les flammes elles-même, tout ce qui vivait avait péri avant d'être happé par le terrible ouragan. Tout... ou presque... Quelques sinistres rapaces volaient toujours en cercle, cherchant des miettes à gober pour remplir leurs estomacs de plus en plus énormes. Les vautours étaient désormais énormes, plus de quinze mètres d'envergure, et volaient lourdement à la suite des flammes et de la grêle.

    Peur disparu, Atonie s'était levée sur le passage de Désespoir et avait encaissé toute la glace venue du ciel. Petit à petit, les réserves de la tourmente s'étaient épuisées et Atonie l'avait regardée succomber. Désespoir ne connaissait pas la défaite et avait refusé de s'effacer, jusqu'à en mourir.

    Douleur seule, subsistait. Atonie avait faim. Trop faim. Après avoir dévoré Peur et Désespoir, elle s'était attaqué à Haine. Un seul foyer, mais rouge, orange, jaune puis blanc, brûlant de rancœur et de rage mal contenue, Haine sifflait dans le vent. Elle faisait une fixette sur ce qui avait excité Peur et Désespoir. Atonie avait regardé Haine dans le blanc des yeux et lui avait murmuré, doucement... tout doucement...

    "-Autant Peur et Désespoir renaîtront un jour, autant toi... Je t'ai longtemps traquée, parce que tu n'as plus ta place dans le pays du Cœur. A tout jamais, tu mérites d'être éradiquée."

    Haine avait sifflé une injure d'une voix nasillarde, elle avait craché et avait serré ses mains noueuses autour de ses genoux maigres. Atonie avait dégainé sa dague, une lame courte et argentée, brillante à cet instant comme elle ne le serait jamais plus à l'avenir, sous un ciel gris et morne, dans un paysage gris d'une épaisse couche de cendres, d'où pointait parfois par miracle un bout de bois calciné...

    Atonie avait tué Haine d'un coup de couteau dans le cœur. Elle avait alors senti la faim remonter dans sa gorge et, repoussant les charognards à grands coups d'un bout de bois qu'elle avait pioché sur le sol, elle avait dévoré ce qui restait de la Haine.

    Atonie, son appétit insatiable assez satisfait pour lui permettre de réfléchir, était remontée dans sa tour et avait attendu et observé le ciel gris, le sol gris plus sombre de cendres et l'horizon qui confondait les deux...

    Seule Douleur avait subsisté sous la surface parce qu'Atonie ne pouvait que la contenir, et jamais totalement la dévorer dans son maelström de vide.

    Atonie était un trou noir à émotions. Elle avait dévoré la Peine, la Joie, la Douleur, le Désespoir... Tant d'autres avaient terminé dans son assiette, y compris les immenses vautours. Lorsqu'elle l'avait enfin vaincu, le dernier d'entre eux avait une envergure de plus de trente mètres. Les battements de ses ailes étaient si puissants qu'ils auraient pu causer le vent.

    Atonie était seule. Et depuis qu'elle avait englouti la Solitude, cette dernière lui pesait sur le cœur. Elle se consola en se disant qu'au moins, je ne la ressentais plus. Ce qui n'était même pas vrai. La Solitude m'alourdissait le cœur comme une chape de plomb.

    Atonie et moi nous avons attendu le rayon de soleil qui briserait la Solitude, pour que les émotions se libèrent de ses entrailles et fassent renaître le pays de cœur.

    Et Douleur fait toujours rage sous la surface d'Atonie, attendant la moindre brèche pour ressortir.

    Je ne vous raconterai pas comment pris fin le règne d'Atonie. Je pourrais prendre une joie macabre à vous décrire l'explosion de son ventre lorsque les émotions se libérèrent au grand dam de Douleur, qui n'avait plus de place. D'abord, le ventre se gonfla, puis explosa, déchirant la robe grise d'Atonie dans une gerbe de sang. Et ces drôles de bêtes que sont les émotions apportèrent une pluie apaisante qui nettoya toutes les traces du terrible conflit. Elles refirent pousser des fleurs et des arbres, elles refirent couler l'eau des rivières par dessus les cendres, elles reconstruisirent des maisons et elles repeuplèrent le pays de cœur. Jusqu'à la prochaine guerre...



    Nda: ceci est une métaphore. A ne pas interpréter de traviole. Ce n'est pas qu'une histoire, c'est la vie et la réalité. Je plains ceux qui ne connaissent pas le sentiment d'atonie et qui sont condamnés à ressentir la douleur, la peine, le désespoir jusqu'à ce que le soleil revienne dans leur cœur... Atonie est vraiment merveilleuse lorsqu'elle est la seule alternative à la douleur... même si elle n'est qu'une chose froide et sans vie.


  • Commentaires

    1
    Vendredi 15 Mai 2015 à 14:27

    atonic et un sentiment Ford  mais moi j'avoue que je ne connaissait pas ce mot !

    2
    Vendredi 29 Mai 2015 à 22:13

    Atonie* ;)

    justement, le message que j'essayais de faire passer c'est l'absence de sentiments et d'émotions qui m'a habitée à plusieurs reprises avant que je comprenne que ce n'est pas la meilleure béquille sur laquelle s'appuyer lorsque rien ne va plus et que le monde s'effondre...

    C'est effectivement quelque chose de fort dans le sens où la présence de l'atonie fait plus ou moins naître un maelström de vide -suite à quoi on se renferme sur soi-même car l'on est convaincu que personne ne peut comprendre ce ressenti -d'où le fait que j'en parle...

    Enfin pour s'en tenir à une question purement vocabulairale (?) "atonie" n'est pas un mot que j'emploie fréquemment et n'est pas non plus un mot très connu (selon mon Robert collège, dictionnaire sacré de pas-badass-qui-pue, "atonie" signifie "manque de vitalité, de vigueur" ce qui prouve une fois de plus que les dicos de collège sont bien pourris. Je m'en vais de ce pas faire un dico pour expliquer correctement ce qu'est l'atonie parce que si je le fais ici, hm, ça va mettre sept cents ans... et un pavasse gratuit!)

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