• Chapitre 1 - Le jour chantait

    « -Je ne sais pas pourquoi vous les humains vous êtes si fragiles. Ni pourquoi toi tu as eu la bonne idée d'arrêter de respirer. Ce n'est vraiment pas malin, imagine que j'aie été hostile, hop, un humain en moins, hop, un robot en plus. Quelle idée intelligente, en plus en tombant, tu aurais pu te faire mal. Quelle galère ç'aurait été, alors ! Et puis ce n'est pas comme si tu étais léger... »

    Nom de dieu, se dit-il, mais qu'est-ce que je fous là moi.

    C'était légitime, après tout, décida-t-il. Qu'est-ce qu'il foutait là ? Avec un putain de robot qui avait l'air d'avoir court-circuité sa fonction « tuer des gens », mais sec. Et qui le trimballait sur son dos comme un gros bébé, qu'est-ce que c'était que ce délire et -oh minute, ce robot... parlait tout seul ? Lui qui pensait que cette attitude était le privilège exclusif des êtres de chair et de sang... Non et à l'écouter ce robot avait l'air sérieusement chtarbé. Il se demanda vaguement où contacter le programmeur pour lui dire qu'il avait vraiment fait de la merde et que ce robot allait faire capoter tout leur joli système en se cassant comme un clodo avec un boulet sur le dos, et en courant en plus alors qu'on sortait juste de la saison des pluies et qu'il y avait potentiellement des flaques... absolument... partout. En fait, la situation était carrément idiote.

    Il refusa d'ouvrir les yeux, la démarche du robot le faisait tellement tanguer et ballotter dans tous les sens qu'il ne pouvait pas voir de meilleur moyen de vomir, même en n'ayant rien dans l'estomac. Il commença à avoir le tournis et se dit que si ça s'arrêtait pas bientôt il allait vraiment finir par rendre son dernier repas qui remontait à il savait plus quand, d'ailleurs il avait faim -idiot, se morigéna-t-il, tu veux vomir encore plus vite ? Pense à autre chose que de la bouffe !

    Il ne comprenait pas pourquoi le robot avait la peau, enfin pas la peau, mais l'enveloppe extérieure qui enveloppait et protégeait ce qui était censé n'être que rouages et mécanique donc relativement tiédasse, voire plutôt carrément froid même, aussi douce et chaude. Il ne comprenait pas et ça l'énervait. L'adolescent en était là de ses pensées décousues quand le robot eut l'air d'en avoir vraiment marre, pour autant que cela puisse être possible, il se mit à râler à voix haute au lieu de grommeler dans sa barbe :

    «  -Je me demande comment on vous réveille, vous autres. Chez les robots, c'est tellement plus simple ! Hop, un coup de courant et on est sur pied. Alors que vous il faut attendre je ne sais combien de précieuses heures pendant que vous dormez ou je ne sais quoi, que vous vous réveilliez, et ça n'est pas encore terminé. Je ne sais même pas si je suis dans la bonne direction pour te ramener chez toi, ou si je m'en éloigne à chaque pas que je fais. Et c'est énervant de parler tout seul. »

    Bon. A part le fait qu'il paraissait avoir pété un sérieux plomb et qu'il parlait tout seul comme sa mère quand elle rangeait (ce qui lui ficha le cafard, pendant un instant il eut la nostalgie du « range ta chambre ! » qui était son pire cauchemar quand il était gamin, puis il se rappela l'état de sa chambre et se retint de se marrer) -ce robot avait l'air d'être assez cool.

    Il décida donc de se risquer à lui parler -plus précisément à poser une question d'une voix pâteuse, la joue coincée dans l'épaule du robot :

    « -Tu veux pas courir moins vite, par pitié ? Sur sol cahoteux moi le balancement, quand j'ai le tournis tu vois, je vomis en fait...

    -Ok, on stoppe un instant. De toutes façons, je dois recharger mes batteries. »

    Le robot déposa l'humain avec une étonnante douceur, malgré laquelle ce dernier tangua un moment comme un bourré avant de s'écrouler par terre comme une vieille chiffe. Ce qui lui fit piquer une magnifique crise de fou rire. D'accord, se dit le robot. Il trouva que si tous les humains étaient comme celui-ci, c'étaient vraiment de drôles de créatures sur lesquelles bâtir un modèle -il savait que les robots humanoïdes comme lui avaient en grande partie été inspirés des humains et se demanda jusqu'à quel point les robots étaient copiés dessus. Il bougea ses oreilles de chat dans un geste d'agacement, les repliant vers l'arrière dans un réflexe primaire, énervé de se dire que pour pouvoir cogiter de cette façon, son programme soit avait planté soit était beaucoup plus proche d'un cerveau humain que la normale -bref, de se dire qu'il n'était pas un robot comme les autres.

    Il avait acquis peu de temps auparavant les bases d'un concept purement humain en crackant des bases de données des Anciens -ce concept, c'était l'humour, et cela lui avait paru le comble de la civilité. Il avait ensuite découvert qu'il était capable, dans une certaine mesure, d'en comprendre et d'en faire. Ce n'était jamais très drôle, mais il adorait surtout les jeux de mots. Il savait qu'un humain rit après une bonne blague -les robots ne riaient jamais, eux. Ils étaient très ennuyeux. Mais là, il fixait le garçon qu'il avait devant lui -c'était peut-être une fille, il n'en savait rien... bref, il fixait le spécimen qui se tordait de rire à ses pieds et se demandait où était la blague et ce qu'il pouvait bien y avoir de drôle à tomber deux fois de suite. L'humain était couvert de boue des semelles aux genoux, et dans le dos aussi, pourtant il continuait de se rouler par terre en se tenant le ventre -rire était peut-être douloureux pour lui, en tout cas il n'avait pas l'air de vouloir s'arrêter.... Mais le robot ne comprenait vraiment pas du tout pourquoi l'humain riait.

    En tout cas, le rire étant contagieux, il se mit à s'esclaffer aussi en réalisant l'incongruité de la situation. Quand, finalement, ils arrivèrent à cesser, le robot sentit ses composantes protester, un peu secouées par ce traitement inhabituel -et une sensation tout aussi inhabituelle se logea dans sa poitrine... comme un genre de pulsation...

    « -X'cuse moi, souffla le petit humain d'une voix enrouée, c'est nerveux. Passons à l'aspect sérieux de notre actuelle position, si tu veux bien répondre à quelques question.

    -Je suis tout ouïe. »

    Le robot décida que c'était un garçon. Le garçon, donc, s'assit en tailleur et fit mine de consulter une liste avant de le regarder droit dans les caméras :

    « -Tu m'as trouvé comment ? Pourquoi me trimballes-tu dans tous les sens dans la vierge nature ? Comment se fait-il qu'une lancinante solitude soit ta seule alliée en ce monde froid et hostile ? Pourquoi suis-je encore en vie ? Combien de temps suis-je resté dans les limbes de l'inconscience ? Et surtout, le plus important : on est où là ?

    -Ça fait beaucoup de questions. Donc. Les infrarouges que tu émets sont plus fortes là où tu es donc ça ne m'a pas été dur de te repérer, mais mon détecteur est un modèle unique donc aucun autre robot n'aurait pu te trouver. Je t'ai embarqué pour éviter que d'autres te trouvent, d'autres qui eux t'auraient tué sans une once d'hésitation. Je suppose que mourir n'est pas ce que tu veux. Si ? D'autant plus qu'après, les molécules qui te composent auraient été réutilisées à des fins particulièrement déplaisantes, je ne suis pas non plus certain que le fait que ton cadavre devienne un panneau photovoltaïque te plaise énormément. Déduis-en que j'aimerais bien que tu restes en vie. Je me suis enfui, d'où là comme tu dis ''lancinante solitude'' dans laquelle je me trouve plongé -et si je me suis enfui, c'est parce que j'ai découvert que la civilisation robotique est basée sur des mensonges visibles comme moi au milieu de la forêt vierge : je n'ai pas très bien assimilé cela, je voudrais donc bien rejoindre un... fin, un clan, une tribu, je ne sais pas comment vous appelez cela...

    -Clan, tribu, équipe, famille, appelle ça comme tu veux, le principe est souvent le même, seuls les liens diffèrent.

    -... pour vous aider à vous battre contre les miens, les robots, quoi.

    -Donc, on est où en fait ?

    -Euh... Je sais pas trop, c'est à cause des arbres, je me repère mal, et de toutes façons, j'ai dû faire planter mon GPS pour éviter qu'on ne me repère, d'où le fait que nous soyons toujours en train de deviser tranquillement après tes quinze longues heures de sommeil.

    -Ah. »

    Le garçon fit une terrible grimace et frotta ses mains sur sa figure comme pour la nettoyer.

    « -C'est beaucoup, finit-il par annoncer après un petit silence. Surtout pour moi.

    -Je ne fais pas confiance à cette forêt, il y a trop de patrouilles.

    -J'y suis depuis deux semaines. Tu sais grimper aux arbres ?

    -On peut ?

    -Ben... Normalement, oui...

    -Donc non.

    -Tu dirais que tu es parti vers quelle direction à peu près ?

    -Je dirais vers l'est...

    -Mmmh, oui, l'est. Tant mieux... Bon, suis moi, imite mes mouvements et fais ce que je te dis. C'est aussi simple que resp... euh... que dire bonjour. »

    A la base, le robot était d'une maladresse épouvantable, se cognant sans cesse dans les branches et évoluant dans la canopée avec une lenteur extrême, si bien que son compagnon était sans cesse obligé de l'attendre et de faire des détours improbables pour trouver des passages plus praticables pour passer d'arbre en arbre ou monter et descendre les « étages » des frondaisons, des passages où le robot pourrait le suivre. Quelle étrangeté aurait donné à voir leur spectacle -si yeux ou caméras il y avait eu pour les voir- un humain conseillant un robot sur la façon de se tenir dans les branches, ce couple improbable évoluant dans les branches comme de vieux amis. Quand la nuit vint à tomber, l'humain ne ralentit pas le moins du monde, même plus, il ferma les yeux et se mit à se guider uniquement au toucher et à l'oreille. Le robot en fut heureux car il n'aurait pas su comment s'occuper durant les longues heures d'obscurité s'il lui avait fallu rester immobile à cause de la vue basse de l'humain. Ils se déplacèrent en un arc de cercle qui semblait prédéfini pour l'adolescent, sûr de lui, qui avançait, ouvrant parfois les yeux pour examiner un tronc ou une branche à la lueur d'une lampe de poche minuscule qui projetait un fin rayon jaunâtre. Il bifurquait ensuite dans un sens ou dans l'autre, souvent dans des directions inattendues. Il annonçait parfois qu'il s'était trompé et qu'il fallait prendre dans l'autre sens, les yeux brillants de malice, avant de les refermer pour avancer...

    Jusqu'à ce qu'un court d'eau dessine sous la lumière de la Lune son parcours argenté.

    « -Fais gaffe, machin... enfin, comment tu t'appelles ?

    -Pardon ?

    -Ben, t'as bien un nom ? Nan ?

    -Qu'est-ce qu'un nom ?

    -Comment dire... un mot, un mot spécial qui sert à interpeller quelqu'un ou a parler de lui ou d'elle en étant sûr que tout le monde a compris que c'est de lui -ou d'elle- qu'on parle. Par exemple, mon nom à moi c'est Erwann, tu vois. Et quand quelqu'un dit ''Erwann'' je sais que c'est à moi qu'on parle. Du coup, je te demande le tien pour pouvoir t'interpeller.

    -J'ai un matricule, si tu veux.

    -Dis, voir ?

    -75466_879446.

    -Wow, c'est un peu naze comme nom et vachement long, excuse-moi, mais... Bon, bref, on t'en trouvera un vrai, promis. Sauf que là je commence vraiment à fatiguer, et fais gaffe à l'eau, là, en bas. Faut qu'on s'arrête, que je dorme un peu... »

    Il s'installa dans une fourche, le dos calé par une branche maîtresse, et croisa les mains sur son ventre.

    « -Hé. Je sais pas pourquoi je te dis ça mais cette étoile, là (il pointa le doigt vers le ciel) s'appelle Alpha du Centaure. Elle est cool. Je sais pas pourquoi mais je l'aime bien. (il laissa passer un petit silence, puis) désolé, ça doit être la fatigue.

    -Même les étoiles ont des noms... Les arbres aussi. Les éléments chimique aussi. Même les lettres. Pourquoi les robots sont-ils les seuls à ne pas en avoir ?

    -Sais pas... »

    Le jour pointait -l'horizon se colora d'orange et d'or, le Soleil se levait. Le temps semblait s'être figé, plus rien ne bougeait. Il n'y avait pas un brin de vent, tout semblait attendre...

    Le Soleil émergea lentement de la cime des arbres, découpant leurs silhouettes sombres dans sa lumière rosée. Les insectes commencèrent à crisser, les chants des oiseaux retentirent... Erwann respirait lentement, le visage tourné vers le sol, les jambes calées entre des branches rapprochées. Son bras commença à glisser, mais il le remit en place avec un grognement.

    « -Alpha, annonça le robot.

    -Quoi ?, marmonna l'adolescent en entrouvrant les yeux.

    -Je veux m'appeler Alpha.

    -Ah. »

    Erwann referma les yeux et murmura :

    « -Excuse-moi de ne pas fêter immédiatement ton nom comme il se doit, mais je suis vraiment trop crevé, je dors. Secoue-moi si tu vois un truc pas normal, sinon... bha, réveille-moi dans quatre heures si je suis pas déjà debout. »

    Alpha fixait l'eau. Elle l'attirait en même temps qu'elle le repoussait, il entendit à peine la fin de la phrase d'Erwann. C'est pourtant ainsi que tout commença. Tout. Une nouvelle histoire avec un matin neuf, une pensée neuve. Une histoire nouvelle, belle comme l'aurore. Une histoire d'amitié. Une chose qui en amena une autre... Et cette autre chose était magnifique.

     Le jour chantait.


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