• Mulgor

    Une nouvelle d'un peu plus de 14 pages, dont je suis assez fière car c'est un concept que je traîne et remanie depuis pas mal de temps et j'ai ENFIN réussi à le boucler! Bref, bonne lecture. J'ai choisi de le mettre en rubrique même s'il n'y a que 3 parties (et un bonus) juste pour alléger mon quota de pages et de rubriques, fin bon, je me comprends. Burefu. Bonne lecture.

  • -Graffiti tracé sur un mur pendant la nuit du 16 au 17 Larda de l'an 7844 après le Renouveau.

    Mulgor

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  • « -Pourquoi y a-t-il deux Mystère dans mon grenier ? Laquelle des deux est Chini ?
    -Celle qui n'a pas de lunettes...
    -On est mal.
    -Oui, ça je m'en doutais, dit Chini d'un ton sarcastique.
    -Vu votre état, on se doute que vous revenez pas de cueillir des fleurs des champs. On n'est pas stupides, hein, ajoute la vraie Mystère.
    -Chini peut-elle prendre une autre tête, parce que j'ai l'impression d'être bourré et de voir double ?
    -Vœu exaucé, plus que deux restant, blague Mystère. Chini, inutile de faire cette tête de constipée, ça n'avance à rien.
    -Chut j'ai comme l'impression que je vais me changer en la première personne à qui je vais penser ! Ça me fait paniquer ! »
    Heureusement la petite arrive à reprendre sans accroc son apparence initiale. Alors son père lui explique qu'ils sont en danger, que le coup d’État a royalement foiré... Et que le Triumvirat a fait mettre à prix pour des sommes exorbitantes les têtes de tous les Fédérés... Et aussi celles de leurs familles.
    « -Il n'y aura plus personne dans votre école demain matin, les filles. La moitié des élèves ont un membre de la Fédération dans leur famille, et pareil pour les profs, quand ce ne sont pas eux-même des Fédérés. On va devoir passer par les toits, le réseau souterrain est trop compliqué et ils ont des sanchilous.
    -Papa... C'est quoi des sanchilous ?
    -Ils ne ressemblent à rien, à des chiens idiots, sauf que leur odorat est quinze fois supérieur au plus développé que peut avoir un chien normal. Ils auraient vite fait de nous retrouver si on passe sous terre... Mais par les toits on a une chance. Parce que notre odeur flottera partout dans l'air, même si évidemment elle sera plus forte là où nous serons. »
    Alors l'homme et les deux petites courent sur les toits. Un autre membre de la Fédération prend les enfants en charge et les mène dans un refuge sous la côte, à dix kilomètres de la ville. Chini attend son père toute la nuit. Mystère regarde le sien construire une gigantesque machine pleine d'engrenages. Toute la nuit, les révolutionnaires communiquent par radio avec leurs bases. Un a un, les voyants verts signalant les places fortes s'éteignent, signifiant ainsi la désertion du lieu par les hommes qui l’occupaient. Le père de Chini ne vint jamais au refuge de la côte.

    A partir de cette nuit-là, commença la période que l'on appela L’Ère Sombre. Durant cette époque, qui dura dix ans, il courait le bruit que n'importe quelle personne, que ce soit soupçonné ou prouvé, que le Triumvirat considérait comme dissidente, pour n'importe quelle raison, était arrêtée par un géant à la nuit tombée. Pareil si on ne respectait pas le couvre-feu. Les geôles du Triumvirat n'avaient jamais été, et ne furent plus jamais aussi remplies. Pour la simple et bonne raison, qu'après l’Ère Sombre, il n'y eut plus jamais de Triumvirat, et la Grande Prison devint une immense école dotée d'une bibliothèque colossale.
    Mais nous n'en sommes pas encore là...
    Durant cette Ère de terreur, on forma au combat ceux qui n'y étaient pas aptes, dans le refuge de la côte. Le Triumvirat tenait Multimorphus. Ils auraient tôt ou tard, s'ils ne les avaient pas déjà, les moyens de le contrôler. Il fallait donc s'attendre à avoir à combattre absolument n'importe qui, du vieux maître du kung-fu à la gigantesque brute armée d'une masse à sa mesure. En passant par une petite fille anthropophage. De plus, il y avait ces rumeurs qui circulaient sur un géant qui ne pouvait être que Multimorphus.
    Pendant ces dix années de colère, Chini poussa le don de multimorphe bien plus loin que son père ne l'avait jamais fait. Elle avait découvert que moyennant un vide total de l'esprit, son don pouvait s'appliquer à d'autres. Elle avait découvert non seulement qu'elle pouvait changer sa carrure et sa couleur de peau, mais aussi la longueur de ses cheveux, leur couleur, leur type, mais aussi elle pouvait changer également son sexe et sa voix. Elle avait même pu imiter l'esprit des autres. Elle avait même réussi à se changer en animal, mais cela demandait une telle quantité d'énergie qu'il ne fallait utiliser ce procédé qu'en cas d'urgence extrême. Enfin, elle savait que son don pouvait également s'appliquer aux vêtements qu'elle portait.
    Au bout de ces dix ans vint le tour de Chini de partir en reconnaissance dans Mulgor, notamment au palais du Triumvirat. On désigna, par un heureux hasard, Mystère pour l'accompagner. Mystère était plus facile pour Chini à transformer.
    Chini les camoufla, avant d'entrer, sous des cheveux et une peau ardoise, aux reflets changeants, sans couleur distincte, les rendant difficiles à repérer sur les toits gris d'ardoises abîmées. Malgré les pas lourds du géant Multimorphus qu'on entendait dans toute la ville, et qui serraient le cœur de Chini, elles arrivèrent sans encombre sur les toits du Palais. Arrivées à l’intérieur, Chini changea encore la couleur de leur peau et de leurs cheveux. En un blanc immaculé. Tout comme les combinaisons caméléon. Avec la résine adhésive aux doigts de leurs gants et sous leurs semelles, elles s'accrochèrent au haut plafond. Dans la pénombre, nul ne put les voir. Elles constatèrent rapidement que dans les grandes salles au dessus du sol il n'y avait rien à voir. Elles descendirent donc d'un niveau. Le sous-sol se révéla nettement plus intéressant... Après les laboratoires, elles se laissèrent tomber au sol et Chini diminua leur taille à quatre-vingt centimètres de haut. Elles se trouveraient fortement diminuées en cas de combat, mais Chini n'aurait qu'à inhiber son don pour leur rendre leur forme initiale. De toutes les façons, qui combattrait au milieu de tant de verrerie fine et fragile ? Des décanteurs, des alambics, des distilleries, des flacons, des tubes à essais, des bocaux partout. C'était pour cela que Chini les avait diminuées en dessous du niveau des tables. Elles ne voyaient pas très bien ce qu'il y avait dessus, mais elles ne risquaient pas de faire tomber quelque chose en passant sous les immenses plans de travail, et non pas à côté. A côté n'importe quel maladroit aurait pu faire tomber un des fragiles instruments et ainsi déclencher toute l'alarme. Multimorphus aurait alors mis le cap vers les caves et il aurait été impossible d'évacuer avant son arrivée. Sauf pour un autre multimorphe, et il aurait eu beaucoup de chance. Car Multimorphus était vraiment très rapide.
    Elles arrivèrent alors dans une pièce, au bout d'une enfilade de laboratoires, une pièce presque vide. Il s'y trouvait juste un cercueil de cryogénie. Curieuse, Chini regarda. Et devint livide. Mystère regarda à son tour. Dans cette stase glacée, une expression de panique sur le visage, des tuyaux partout dans le corps, se trouvait la mère de Chini. La jolie dame en salopette qui crachait ses clous dans la pochette à papier super-importants de Chini, quand Mystère et elle allaient encore à l'école. C'était une autre époque – un autre temps, d'autres lieux, bref, un autre monde. Et voilà que Chini la retrouvait pour de vrai ! Elle imita les empreintes d'un des trois gouvernants et désactiva la cryogénie. L'azote se vida et tous les tuyaux se débranchèrent. Le couvercle se souleva. Chini enleva sa mère. Elle diminua juste sa taille pour la rendre minuscule, et l'accrocha dans ses cheveux devenus blancs, juste derrière son oreille. Les deux espionnes continuèrent leur progression. Chini eut une pulsation de rage lorsqu'elle vit la pancarte « contrôle de Multimorphus » sur un placard. Elle attrapa une grande hache et allait frapper en plein dans les seringues toutes prêtes, quand elle eut une autre idée. Elle dit à Mystère que durant sa première journée libre, elle reviendrait et...
    Chini reposa la hache. Embarqua une seringue. Juste la fiole. Elle mit de la menthe à l'eau à la place dans une fiole semblable. De la menthe à l'eau prise dans sa gourde. Et elle trouva ça vachement marrant. Elle balargua la fiole de produit de contrôle dans le sac qu'elles avaient emmené. Si ça se trouve, la fiole suivante serait celle où elle avait mis sa menthe à l'eau et là ce serait vraiment super rigolo. Multimorphus allait probablement tenter de les rejoindre. Elle imaginait la tête des Triums lorsqu'ils se rendraient compte que leur précieux Multimorphus était totalement en liberté. Ça la faisait ricaner dans sa barbe. Mystère lui demanda dans leur code gestuel :
    « -Mais pourquoi tu te marres comme ça ?
    -J'imagine la tronche que vont tirer les Triums lorsqu'ils injecteront ma menthe à l'eau dans le sang de papa, et quand après lorsqu'il sera en liberté il va leur péter la gueule. Enfin j'espère.
    -Bon arrêtes de rigoler là on arrive devant une alarme vocale extrêmement sensible au bruit. Si t'es pas enregistré dedans, elle te détecte et tu finis dans les magnifiques prisons pleines de rats imbibés d'eau de cette ville stupide.
    -D'accord, d'accord. »
    Cette conversation de mimes terminées, les deux jeunes filles arrivèrent dans une salle où se trouvait de gigantesques tubes dans lesquels des fœtus flottaient mollement. Chini lut toute la paperasse et résuma en gestes pour Mystère :
    « -Beurk, c'est dégueulasse, ils ont cloné papa. Je te promets à ma prochaine visite, je défonce toutes leurs conneries vite fait, et ça va chier ! »
    Un scientifique entra à ce moment dans la pièce. Les deux clandestines se précipitèrent derrière un des énormes fûts. Le scientifique, à leur grande surprise, lâcha un juron, suivi d'un commentaire gestuel de Mystère « je le connaissais pas celui-là ! », et... baissa un levier. Tous les tubes se vidèrent du liquide qu'ils contenaient, et le scientifique les rejoignit derrière le container où elles avaient trouvé refuge. Il leur dit en code révolutionnaire :
    « -Ne craignez rien. Je vois que vous êtes multimorphes, vous aussi, comme le grand. Il me fait tellement flipper celui-là, que j'ai tout débranché. Les clones seront morts sous dix minutes. Je vous en supplie, aidez-moi à sortir d'ici, ils sont tous fous là-dedans ! J'étais Révol, moi aussi, mais comme j'avais certaines compétences ils m'ont pris dans ce labo infernal.
    -Fais le vide dans ton esprit », lui ordonna Chini.
    Elle le changea de la même façon qu'elle avait modifié Mystère, et le dota d'une combinaison semblable aux leurs.
    « -Sors de la ville. Là, toi et tes vêtements reprendrez votre apparence originale. Quand tu seras hors de cette ville, fais ta vie. Le plus loin possible, mima Mystère.
    -Fais gaffe à mon père, ils l'ont changé en bête féroce », ajouta Chini avec une grimace amère.
    Le scientifique acquiesça et sortit d'un air déterminé en s'accrochant au plafond.
    Les deux fillettes regardèrent autour d'elles. Tout se mit à trembler...

    Tout se mit à trembler parce que leur espion à l'intérieur avait été pris avant l'installation... des nouvelles caméras... Multimorphus avait été activé et il arrivait. Chini avait oublié sa mère, accrochée dans ses cheveux, qui était ballottée dans tous les sens parce qu'elle venait de grandir... Mystère.
    « -Écoute, lui cria Chini, te transformer en ça me prend énormément d'énergie, donc je vais annuler mon apparence pour la réinvestir. Je m'accroche au plafond ! »
    Mystère avait quand même un sérieux désavantage. Elle n'avait pas l'habitude de cet immense corps. Ses énormes canines la faisaient loucher, et le pire c'était qu'elle grossissait encore, au point d'atteindre le bas de la voûte formée par la plafond ! D'énormes muscles saillaient sous sa peau devenue bleuâtre, elle avait de longs bras poilus... Des petites jambes courtes...
    « -Tu m'as transformée en gigantesque... troll ?! hurla la jeune fille de sa voix grave et caverneuse.
    -Désolée, c'est apparu dans mon esprit et voilà, j'ai pas fait exprès... Je vais tenter de faire mieux ! »
    Mystère vit avec satisfaction se résorber l'impressionnante musculature qui la handicapait plutôt que l'avantageait, même face à la forme prise par Multimorphus. A la place, Chini avait réfléchi à la vitesse de l'éclair et...
    De longues ailes translucides poussaient sur le dos de Mystère, son corps perdit de son opacité et bien qu'il se regonflât pour mesurer près de trois mètres, il se terminait par un énorme tourbillon. Mystère, sous cette forme, n'avait aucun besoin de vêtements et la combinaison caméléon, devenue inutile, gisait lamentablement au sol. Chini la changea donc en filet.
    « -J'aurais aimé pouvoir faire plus efficace, regretta Chini, mais puisque cette salle mesure près de vingt mètres de hauteur, tu devrais pouvoir t'envoler et lui balancer le filet, si ça se passe mal. J'aurais préféré pouvoir te fournir un antidote pour... Hé mais, si je sais compter, c'est l'heure de la dose de sérum !
    -Euh oui et alors ? siffla son amie.
    -Et alors j'espère qu'ils vont prendre la dose avec ma menthe à l'eau, tiens ! »
    Le sol, qui avait retrouvé de sa stabilité, se remit à trembler. Multimorphus entra en scène, avec la seringue encore plantée dans le bras. Chini l'observa attentivement, et en ne voyant aucun numéro gravé dans la fiole, se remit à espérer.
    Mais son père attaqua Mystère, griffant et frappant impitoyablement...
    Le vide.
    La nouvelle forme de Mystère n'avait aucune espèce de consistance, la maintenir alors qu'elle ne souffrait aucun dommage était donc un jeu d'enfant pour Chini. Cette dernière riait. Elle vit la seringue tomber.
    Multimorphus n'avait, cependant, pas l'air de se rendre compte vraiment que ses attaques étaient vaines. Mystère était plantée au milieu de la salle, l'air profondément désabusée et un peu énervée, même. Au bout d'un moment de ce petit jeu, elle finit tout de même par en avoir assez et se mit à hurler :
    « -NON MAIS CA VA COMMENCER A SUFFIR TES CONNERIES OUI !
    -Quelles conneries ?, demanda Chini en levant un sourcil, dubitative.
    -Ben, tes conneries que tu m'as transformée en cette espèce de fantôme, ton père est devenu dingue et essaye de m'attraper ce qui n'est pas possible car je ne suis pas tangible, et ta mère microscopique accrochée dans tes cheveux comme une... barrette !
    -C'est pas mes conneries, c'est la faute des Triums. Tiens, tu devrais détruire ces caméras, sinon. Ça t'occuperait.
    -Ah bon ! Et comment je fais ?
    -Tu... tu pourrais, par exemple, donner un bon coup de poing dedans. »
    Mystère donna un coup de doigt dans une caméra, pour rire... et envoya cette dernière valdinguer à trois mètres de là. Elle éclata donc les autres, pour se détendre les nerfs.
    « -Bon et maintenant Sherlock Holmes, on fait quoi ?
    -Maintenant, mon cher Watson, on capture mon père et on attend. Tu peux éventuellement le ramener en cassant tout sur ton passage, enfin bon, on risque de tomber sur quelques victimes innocentes, telles que nos chers Triums. Et il faut qu'ils croient que Multimorphus est toujours dans leur camp, ce qui ne sera pas le cas si... si on le leur vole.
    -Ah. Et avec quoi veux tu le capturer ?
    -Le filet dans lequel il... s'est... pris... les... pieds... C'est ridicule... Tu vois un troll des cavernes qui a peur d'une araignée, ben ça me fait le même effet.
    -Tu juges donc que c'est pitoyable ?
    -Pire. J'ai presque honte pour lui, là.
    -Euh tu devrais regarder...
    -Hm. On a un problème.
    -Lequel ?
    -Un troll inconscient ça fait pas plus tout trembler qu'une petite araignée, par contre un troll conscient qui tape un peu partout, ça fait tout trembler. Donc, fais tout trembler s'il te plaît. Et si tu pouvais crier un peu ce serait cool. »
    Mystère s'exécuta. En entendant les patrouilles arriver, Mystère donna un grand coup dans un des murs et son amie la retransforma en petit espion. Elle remit la combinaison caméléon et alla se fixer au plafond.
    Puis elles attendirent. La patrouille arrivant, toute tentative d'évasion était strictement exclue et en restant dans leur coin sombre, elles entendraient tout ce qui se dirait.


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  • « -Mais qu'est-ce qui s'est passé ici ?!
    -Hé, les gars, regardez Multimorphus ?!
    -Mais... Il est assommé !
    -Celui qui l'a vaincu doit être super fort !
    -Et super rapide, si ça se trouve on l'a croisé et on n'a rien vu !
    -Hé, regardez ! Toutes les caméras ont été détruites !
    -Comment... On va... Annoncer ça aux patrons ?
    -Ça va gueuler... Moi je dis, on s'en va et on fait comme si on n'avait rien vu...
    -Oui et déjà que la disparition de je sais plus quelle prisonnière cryo les a foutu en pétard et que c'est retombé sur nous, pas la peine de dire que ça va être notre fête si c'est nous qui leur apprenons que leur précieux Multimorphus est dans le coaltar et qu'il y a le type qui l'a défoncé qui court en liberté...
    -Ouais, donc les gars, on se casse... »
    Quelle chance, se dit Mystère, qu'on ait été cachées !
    « -Et maintenant ?, mima-t-elle à son amie.
    -Maintenant, on attend », lui répondit cette dernière de la même façon.
    Et elles attendirent patiemment, sans faire de bruit.
    Un des Triums entra finalement dans la pièce dévastée, précédé d'une tornade de hurlements. Il s'arrêta enfin de hurler et ouvrit de grands yeux ronds lorsqu'il vit Multimorphus étalé par terre, inconscient.
    La tension était presque palpable. Le Trium contempla pendant quelques secondes son grand soldat vaincu, et finalement... se remit à tempêter.
    Il lâcha en tout premier lieu une inimaginable bordée de jurons dans au moins cinq langues différentes, que je ne retranscrirai pas ici tout d'abord pour la simple et bonne raison que la bienséance m'y oblige, et ensuite parce que je ne sais pas comment s'écrivent la moitié des mots qu'il employa.
    Ce monceau de grossièretés entraîna un fou rire silencieux de Chini et Mystère, qui avaient beau avoir respectivement 16 et 17 ans, avaient toujours du mal à garder leur sérieux lorsque quelqu'un pétait un plomb. Surtout lorsque le quelqu'un était un fichu Trium, dans une fichue salle défoncée et dans une fichue situation impensable...
    Finalement, Mystère reprit son sérieux et poussa du coude Chini pour qu'elle en fasse autant et... Cette dernière poussa un long hurlement et sauta par terre... et grandit, grandit... Grandit... Atteint une dizaine de mètres de hauteur et se mit à crier d'une voix rauque, basse et grondante, caverneuse comme un éboulement de roches hurla d'un ton effrayant comme un jour sans soleil :
    « -TOUCHE ! PAS ! A MON PERE ! »
    Le Trium, estomaqué, ne bougea pas lorsque l'énorme poing s’abattit sur lui et l'écrasa sur le sol. Lorsque Chini enleva son poing, ce qui était auparavant un immense tas de muscles sans cervelle drapé dans la cape rouge des dirigeants, s'était changé en un tas informe de bouillie vaguement rosâtre drapé dans une cape rouge sombre de sang.
    Rouge, rouge, rouge. Chini voit rouge. Rouge sang, colère, peur, douleur. Sang. Plus de sang.
    L'immense mastodonte s'ébranle et se met doucement en marche. Brise d'immenses trous dans les murs. Et part au centre. Mystère ramasse la maman de Chini, que cette dernière lui a confiée avant de se transformer. La colère de son amie l'atteint en plein cœur. Du coup elle décide de la suivre, histoire d'essayer de l'empêcher de faire une connerie.

    Au cœur du château, il y a une immense salle blanche, marbre, grande pompe avec d'immenses piliers ciselés, les tapisseries imposantes montrant d'anciens rois ou de gigantesques champs de bataille. A part ces tapisseries, tout est blanc, d'un blanc glacial, glaçant, froid -blanc comme la mort. Blanc, blanc, blanc, tout ce blanc blesse les yeux. L'énorme table en bois noir brise la monotonie de cette étendue de pierre blanche. C'est à cette table que les deux Triums restants sont assis avec leurs généraux et établissent leurs plans.

    En suivant la piste sanglante de cadavres et murs brisés, semée par Chini dans sa colère telle un macabre petit poucet, Mystère se rend compte que c'est vers cette salle que se dirige son amie.
    Cette salle est piégée.
    Cette salle est un immense piège. Il suffit d'appuyer sur un bouton rouge pour qu'elle se comprime sur elle même et écrase tout ce qu'elle contient. Une autre pression et la salle revient à son état normal. Il n'y a plus qu'à nettoyer la bouillie rosâtre au sol et au plafond, et il n'y a plus aucune trace du piège.
    Chini a oublié le piège. Elle se dirige droit dedans. A mesure que Mystère la rattrape, elle essaye de la prévenir. Surtout quand elle voit tous les généraux en cape rouge et armure brillante qui passent entre les jambes en tronc d'arbres et se dirigent massivement, comme un essaim d'insectes étranges, vers la salle de commandement. Mystère court pour rattraper l'immense géant et, médusée...
    Chini entre dans la pièce et voit dans un brouillard rouge sang les deux Triums restants qui se lèvent en ouvrant de grands yeux. Ils la prennent pour Multimorphus et se demandent comment il a pu se sortir de l'influence du sérum. Mystère ne rentre pas.
    La salle commence à se refermer.
    La salle. Commence. A se refermer.
    La. Salle. Commence. A. Se. Refermer.
    Chini est déjà à l'intérieur. Un morceau non-identifiable d'un des Triums est éjecté de la salle.
    Le plafond se baisse lentement dans un fracas de fin du monde, pire qu'un grincement, un long gémissement qui semble durer éternellement à Mystère, une immense plainte qui se répercute en écho sur les murs, le sol, le plafond si lisses.
    Mystère se cache les yeux en tremblant. Elle sait qu'elle devrait essayer de faire quelque chose, arrêter cette machine infernale – mais elle ne sait pas comment. Elle s'attend à tout instant à reprendre son apparence originelle, à voir les couleurs inonder sa peau. Elle va se cacher au sommet d'une colonnade car elle entend des soldats qui arrivent au petit galop.
    La patrouille passe en ligne raide devant la porte de la salle ; dont le plafond se baisse toujours avec un bruit d'engrenages rouillés et une lenteur abominables.
    Soudain, dans un « couac ! » surpris, le plafond cesse de descendre. Et avec l'affreux bruit caractéristique des mécaniques malmenées ; il se met à remonter et retrouve sa place originelle. Puis retentit le grincement d'une pièce métallique que l'on arrache à son support, ponctué par l'immense « CLANG ! » du rail que l'on jette au sol.
    Un gigantesque bruit de chute clôt la série de sons métalliques en provenance de la pièce piégée.

    Chini sort enfin de l'immense salle.
    « -Mystère, descend. Faut qu'on s'en aille, tout va s'effondrer.
    -Mais Chini, et ton père ?
    -Aaaah punaise je l'avais oublié.
    -On va le chercher ?
    -Oui, mais réellement, fissa, parce que tout va vraiment se casser la gueule sur nos tronches. »
    Les deux jeunes filles courent dans les couloirs, et reviennent enfin au sous sol.
    « -Chini ?
    -Oui ?
    -Le jour va se lever.
    -Et alors ?
    -Alors, ça fait longtemps qu'on n'a pas vu le Soleil.
    -C'est vrai... »
    En arrivant à la salle du sous sol où Multimorphus les a attaquées, les deux comparses ont un choc.
    Le géant a disparu. Elles se regardent, puis ont, semble-t-il, la même idée en même temps. Elles courent vers la salle de contrôle, et empoignent en même temps les micros qui servent à annoncer sonorement des nouvelles dans tout le château. Et elles hurlent en même temps, leurs voix amplifiées se répercutant dans les hauts-parleurs tandis que les murs commencent à trembler :
    « -Que tout le monde sorte de ce château ! Tout va s'effondrer, alors si vous tenez à la vie, fuyez vite ! »
    A ces mots, une foule impressionnante, hurlante, de soldats, chercheurs, cuisiniers et autres ; piétine les généraux postés à l'entrée comme s'il s'était agi d'une troupe de cafards répugnants. Les deux complices, voyant que tout le monde ou presque s'est enfui à temps -y compris un vieillard claudiquant, ce qui interpelle particulièrement Chini, qui sait qu'en théorie il n'a rien à faire ici- n'ont plus d'autre ressources devant l'effondrement des murs sur eux-mêmes, pour éviter de se prendre un plafond et plusieurs étages sur la figure, que de monter sur le toit et s'accrocher à la flèche durant leur descente horizontale vers le sol et vers une autre ère.
    Chini entend alors très distinctement, alors qu'elle rappelle son énergie investie dans la métamorphose autour d'elle :
    « -Je suis fière de toi, ma fille. »
    Sa mère, assise à côté de Mystère, sourit, d'un sourire si lumineux qu'il réduit à néant les efforts que fait le Soleil naissant pour éclairer Mulgor. Cette dernière dit d'un air dubitatif :
    « -Je m'en voudrais de briser l'instant, mais... c'est qui ce vieux, là, qui nous fait des signes ?
    -Tiens c'est vrai, remarque Chini. D'ailleurs il avait pas une canne tout à l'heure ?
    -Euh je sais pas... Si, peut-être, remarque, maintenant que tu le dis...
    -Eh, mais regarde le comme il a l'air content, on dirait que c'est le plus beau jour de sa vie ! Et pourtant, on vient de tout casser.
    -Chini, regarde ses bras », dit Mystère d'une voix soudain très basse, comme si elle venait de subir un choc.
    Chini dirige son regarde acéré vers les avants-bras du vieillard, et y décèle de nombreux points rouges, comme s'il avait été piqué à ces endroits à de nombreuses reprises.
    « -Mystère ?
    -Oui ?
    -Je sais qui c'est ce vieux.
    -Alors c'est qui ?
    -Tu verras quand on sera en bas. Je ne parlerai que sous la torture ! »
    Cependant le sol approchait. La mère de Chini était restée silencieuse pendant toute la descente, l'air anxieux, comme si elle cherchait des yeux quelqu'un qui demeurait introuvable. Chini l'aide à descendre de la petite plate-forme au sommet de l'ex-dôme de la flèche, qui est maintenant la petite-plate-forme-au-sommet-d'un-tas-de-ruines. Qui, faut-il le préciser, tiendra dans le futur la meilleure place d'un musée où sont exposées tout un tas de vieilleries sans importances.
    Mais revenons à l'instant présent.
    Dans l'instant présent, Multimorphus (oui, c'est lui le petit vieux de tout à l'heure) est en train d'expliquer à Chini, à sa mère et à Mystère que c'est là sa réelle apparence, qu'en vérité il s'appelle Anton Griggs et qu'il ne souhaite plus utiliser son don, car il lui a déjà attiré trop d'ennuis à cause de ça. Je ne sais pas s'il est utile de préciser qu'il tiendra cette résolution trois jours. La mère de Chini fait également une sorte de coming-out en avouant qu'elle est également multimorphe.
    Les révolutionnaires du refuge de la côte reviendront dans la ville. On reconstruira un palais par dessus les décombres de l'ancien. On rouvrira l'école, la bibliothèque, on construira tout un tas de bâtiments plus ou moins inutiles et on mènera des campagnes pour distribuer gratuitement de la choucroute aux habitants de Mulgor – juste pour le plaisir de dilapider quasiment toute la fortune que les Triums gardaient si jalousement après l'avoir amassée durant toutes ces années.
    Les quelques centimes qui restaient voudront être jetés par les fenêtres par les citoyens reconnaissants, pour ériger au centre de la ville une énorme statue de Mystère, Chini et les parents de cette dernière ; mais ils refuseront et à la place, ouvriront un immense bâtiment où on pourra voir d'immenses photos de tous les habitants, de tous les prisonniers et de tous les révolutionnaires, le tout dans un parfait désordre – la seule concession qui sera faite à l'harmonie était la précision du nom de chacun sur les photos. Les Mulgoriens concéderont que cette idée est meilleure et se rueront pour se chercher sur les murs de la bâtisse, que l'on voudra baptiser avec éloquence et raison Musée Des Photos Des Gens Qui Ont Vécu Sous Le Régime Politique Le Plus Débile Jamais Exercé De Tous Les Temps ( soit, pour faire plus court, le MDPDGQOVSLRPLPDJEDTLT – ce qui reste quand même très très long). Mais comme c'était vraiment trop trop long à retenir, on gravera juste cette phrase sur le fronton au dessus de la porte, et on appellera cet endroit Souvenirs De Mulgor.
    Toutes ces modifications se feront sous la houlette d'une bande de délurés comprenant Anton Griggs, Mystère, Chini, sa mère et quelques autres, jamais à court d'idées pour dépenser de l'argent – ou pour en gagner. Ce seront des dirigeants justes, honnêtes et surtout, adorés de la population qui, à leur mort, les pleurera beaucoup.
    Mais on n'en est pas encore là.
    Pour l'instant, la caméra se balade au petit bonheur dans les rues selon un magnifique plan plongé très étudié, le tout pour constater qu'elles sont absolument déserte. Un type qui crie dans la rue nous crie de nous grouiller parce qu'on est en retard, et que si on se dépêche pas y'aura plus de choucroute à manger.
    Ben oui, normal, on doit célébrer... le mariage des parents de Chini ! Et un peu la libération de la ville, accessoirement.
    (Tout le monde est invité. Plus on est de fous, plus on rit ! Choucroute à volonté pour les affamés!)


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