• Part 1: S'évader, ce n'est pas fuir

    [6 juillet 4725 – 07:47]
    Le jeune garçon, quinze ans au plus, était prostré dans les branches d'un arbre, les yeux grand ouverts, la respiration sifflante. Il avait eu chaud. Il respira plus calmement et étira ses bras pour les détendre.
    C'est alors qu'il entendit un craquement dans le fourré où il avait trouvé refuge à leur passage... Il avait espéré leur échapper et pour l'instant, il avait plutôt bien réussi. Il invectiva mentalement la petite bestiole complètement dénuée d'instinct de survie -ou complètement suicidaire, il ne savait pas trop- qui avait eu la bonne idée de remuer des branchages juste après leur passage. Ils revenaient sur leurs pas dès qu'ils entendaient un bruit suspect. Perché dans les branches, il pria tous les dieux qu'il connaissait pour qu'ils soient assez loin pour ne pas avoir entendu le bruit produit par le déplacement de l'animal.
    Manifestement, tous les dieux en question lui faisaient la tête, parce que le bruit se rapprocha, adoptant le son caractéristique produit par leurs pas. Il cessa de respirer. Les battement de son cœur lui semblaient assourdissant. Ses mains moites glissaient sur l'écorce lisse. Que cette saleté d'animal aille rejoindre les Enfers ! Mais qu'est-ce qu'il avait fait pour mériter ça ! Il commençait à voir des papillons noirs devant ses yeux au moment où une tête triangulaire, coiffée d'une multitude de fils sombres bardés de capteurs qui y formaient des étoiles blanches ou argentées, apparut entre les feuilles. Puis le corps du robot apparut. Lisse, parfait, d'une matière que les humains n'avaient plus vue depuis des dizaines d'années, il était constitué de plaques qui glissaient silencieusement les unes sur les autres lorsqu'il se déplaçait. Ses articulations étaient faites de sphères qui unissaient ses membres, qu'il avait longs et fins, les uns aux autres et lui permettaient de les fléchir. Sa morphologie était très semblable à celle des humains, une lueur rouge pulsait même là où se serait trouvé son cœur. Ses grands yeux étaient noirs comme la nuit, mais à ces exceptions près, le robot était blanc comme la mort. La tête blanche se tourna ver lui. Il n'eut pas le temps de l'observer davantage, de comprendre sa façon de se déplacer et de lui tomber dessus, en fait, ce plan n'eut même pas le temps de germer son esprit. « Eh merde » pensa-t-il lorsque sa vue commença à se brouiller sérieusement et qu'il ne distingua plus qu'une tache blanche au milieu d'un fouillis de nuances de vert. Le fouillis en question lui fit penser à un treillis. Il se demanda alors ce que faisait là cette tache blanche, car il n'y a normalement pas de blanc sur les treillis camouflage des expéditions forestière.
    Il eut l'impression de tomber, mais il ne sut jamais s'il était vraiment tombé ou si le robot l'avait délogé. Toujours est-il qu'il oublia de respirer et tomba dans les vapes, ce qui est foncièrement ridicule.
    « -Je ne sais pas pourquoi vous les humains vous êtes si fragiles. Ni pourquoi toi tu as eu la bonne idée d'arrêter de respirer. Ce n'est vraiment pas malin, imagine que j'aie été hostile, hop, un humain en moins, hop, un robot en plus. Quelle idée intelligente, en plus en tombant, tu aurais pu te faire mal. Quelle galère ç'aurait été, alors ! Et puis ce n'est pas comme si tu étais léger. »
    Nom de Zeus, se dit-il, mais qu'est-ce qu'il foutait là. Avec ce robot qui avait l'air d'avoir eu un sérieux court-circuit qui le trimballait comme ça sur son dos et qui parlait tout seul en plus. Il pensait que cette conduite était le privilège exclusif des êtres de chair et de sang. Il n'ouvrit pas les yeux, ça tanguait tellement qu'il était sûr de vomir s'il ouvrait les yeux. Il avait le tournis. Le balancement du robot lui rappela un bercement et il ne comprenait pas pourquoi le robot en question avait la peau, enfin pas vraiment la peau mais l'enveloppe extérieure, le, le truc qui enveloppait ce qui n'était censé être que rouage et mécanique, donc relativement tiédasse, voire carrément froid, aussi douce et aussi chaude. Les fils qui sortaient de la tête du robot lui fouettaient le visage. Pendant que l'adolescent nourrissait ses élucubrations au rythme des pas du robot qui courait, infatigable, ce dernier eut l'air d'en avoir assez.
    « -Je me demande comment on vous réveille, vous autres. Chez les robots, c'est tellement plus simple ! Hop, un coup de courant et on est sur pied. Alors que vous il faut attendre je ne sais combien de précieuses heures pendant que vous dormez ou je ne sais quoi, que vous vous réveilliez, et ça n'est pas encore terminé. Je ne sais même pas si je suis dans la bonne direction pour te ramener chez toi, ou si je m'en éloigne à chaque pas que je fais. Et c'est énervant de parler tout seul. »
    Bon, ce robot avait l'air d'être assez cool, en fait. Il décida donc de se risquer à lui parler. Plus précisément à poser une question.
    « -Tu peux courir moins vite s'il te plaît ? Parce que j'ai la tête qui tourne là alors tu vois le balancement c'est pas top surtout sur sol cahoteux...
    -Ok, on s'arrête trente secondes. De toutes façons, il faut que je recharge mes batteries. »
    Le robot déposa avec une étonnante douceur l'adolescent, qui tangua et s'écroula par terre. Ce qui lui fit piquer une magnifique crise de fou rire. « Ah, d'accord » se dit le robot. Il trouva que les humains étaient de drôles de créatures sur lesquelles bâtir un modèle. Puis il songea que pour pouvoir penser, réfléchir et cogiter de cette façon, son programme était tout de même vraiment très proche de la façon dont fonctionnait un cerveau humain. Il avait acquis très récemment un concept humain en observant les anciens, appelé humour, et cela lui avait beaucoup plu. Il arrivait maintenant à en comprendre presque toutes les subtilités. Il comprenait même certaines des blagues humaines, comme les jeux de mots, qu'il aimait beaucoup. Il se demanda en quoi tomber deux fois de suite était drôle, et en plus, ce petit d'homme n'avait pas l'air de vouloir arrêter de rire.
    Mais comme le rire est contagieux, le robot s'esclaffa aussi, parce que la situation était vraiment incongrue. Quand ils arrivèrent à s'arrêter, le robot sentit tous ses engrenages un peu secoués par ce traitement inhabituel, et une sensation tout aussi inhabituelle se logea dans sa poitrine, comme une pulsation.
    « -Ouh, désolé, c'est nerveux, s'excusa le petit humain. Passons à l'aspect sérieux de la situation. J'ai quelques questions pour toi. Comment m'as tu trouvé ? Pourquoi es-tu en train de me trimbaler un peu partout dans la nature ? Et comment se fait-il que tu sois tout seul ? Et pourquoi est-ce que je suis encore en vie ? Depuis combien de temps je suis dans les vapes ? Et où on est, nom de Zeus ?!
    -Je t'ai trouvé grâce à un détecteur d'infrarouges qui m'en a indiqué une concentration un peu trop élevée en un certain endroit et tu as de la chance, je suis pour l'instant le seul à en avoir un comme ça. Si je te porte, là, c'est parce que je ne voulais pas que d'autres te trouvent, et eux t'auraient probablement tué, puis auraient utilisé tes composants à des fins assez déplaisantes ; et je ne suis pas certain que c'est ce que tu veux, de devenir un panneau photovoltaïque ou je ne sais quelle connerie, après ta mort, déduis-en donc que j'aimerais bien que tu restes en vie. Si je suis seul c'est parce que je me suis enfui, parce que j'ai découvert un terrible secret au sein de la civilisation construite par les robots, qui est basée sur de fragiles mensonges ; ce qui m'a profondément déplu, et c'est pourquoi j'ai décidé d'essayer de rejoindre un clan, une tribu, ou je ne sais pas comment vous appelez cela...
    -Un clan, une famille, une équipe, une tribu, appelle ça comme tu veux, pour moi le principe est quasiment le même.
    -... pour vous aider à vous battre contre les miens. Enfin, je ne sais pas trop où nous sommes, car à cause des arbres, je ne me repère pas très bien, et tu as dormi environ quinze heures.
    -Ah.
    -Dois-je en déduire que c'est beaucoup ?
    -Euh oui, et surtout pour moi. Si tu tiens absolument à ce que je te raconte ma vie, autant le faire en lieu sûr. Je ne fais pas confiance à cette forêt. Tu sais grimper aux arbres ?
    -On peut ?
    -Ben... Normalement, oui...
    -Donc, non.
    -Tu es parti dans quelle direction, tu dirais ?
    -Vers l'est.
    -Ah, tant mieux. Suis moi et imite mes mouvements. Tu verras, c'est aussi simple que resp... euh... que dire bonjour. »
    Au début, le robot ne s'en sortait pas trop pour suivre le jeune garçon, qui évoluait bien plus vite que lui dans la canopée, faisant moult détours pour trouver des passages plus praticables où son compagnon inattendu pourrait le suivre. Quel étrange spectacle était-ce alors, que de voir, sautant d'arbre en arbre, un humain et un robot évoluant comme de vieux amis !
    Quand la nuit commença à tomber, cela ne ralentit pas le moins du monde l'humain, et le robot en fut heureux, car il n'aurait su comment s'occuper s'il avait du rester immobile durant les longues heures d'obscurité. Ils se déplacèrent selon un arc de cercle qui paraissait prédéfini pour l'adolescent, qui avançait, sûr de lui, examinant de temps en temps un tronc ou une branche, bifurquant parfois dans des directions inattendues. Jusqu'à un brusque arrêt au bord d'un cours d'eau.
    « -Attention, euh... Au fait, comment tu t'appelles ?
    -Que signifie ''s'appeler'' ?
    -Se nommer...
    -Qu'est-ce qu'un nom ?
    -Une appellation propre à chacun, qui permet d’interpeller quelqu'un quand on le voit... Et je te demande le tien, c'est pour pouvoir m'adresser à toi en étant sûr que tu aies compris que c'est à toi que je parle.
    -J'ai un matricule, si tu veux...
    -Dis pour voir?
    -75466_879446...
    -Une suite de numéro, excuse moi, mais c'est un peu nase comme nom. On t'en trouvera un vrai, promis. Mais là, d'une part, attention à l'eau, et d'autre part, il faut vraiment que je dorme, parce que je commence à fatiguer. »
    Le jour commençait à poindre.
    « -Au fait...
    -Oui, quoi ?
    -Moi, je m'appelle Erwann. Et je sais pas pourquoi je te dis ça, ça doit être la fatigue, mais cette étoile, là, elle s'appelle Alpha du centaure, et je l'aime bien.
    -Alpha, c'est un chouette nom. Même les étoiles en ont ? Pourquoi les robots sont-ils les seuls à ne pas en avoir ?
    -Je sais pas trop... »
    Les insectes commencèrent à crisser.
    « -Alpha.
    -Quoi ?
    -Je veux m'appeler Alpha.
    -Oh. »
    Puis Erwann marmonna :
    « -Désolé de briser ce grand instant, mais secoue moi si tu vois un truc pas normal. Moi, je dors. Par contre, demain, normalement, tu rencontreras d'autres humains. Essaie de bien montrer que tu es inoffensif... »
    Et c'est ainsi que tout commença. Une nouvelle histoire. Une histoire d'amitié. Quelque chose qui amena quelque chose d'autre. Ce second quelque chose fut merveilleux.

    Partie 2