• Still Alive

    Depuis ma 4e que je suis dessus!

  • J'ai froid... si froid...

    La neige tombe sur l'astroport. La neige... Silencieux, irréels même, les flocons se détachent, blancs et vaguement luminescents, sur le ciel noir de la nuit.

    J'en ai partout dans les cheveux. Je passe la main dans mes boucles rousses pour les enlever, je n'ai pas besoin que mon cerveau gèle. J'en profite pour essuyer la fine couche blanche qui s'est formée sur les épaules de ma veste kaki.

    Je passe ma main gantée d'une mitaine noir sur mon visage, souffle sur mes bouts de doigts bleus pour les réchauffer. Je plisse les paupières, des flocons se prennent dans mes cils et fondent immédiatement. Ils regèlent en tombant sur mes joues, me faisant sous les yeux des cernes de givre. Mon souffle blanchit dans l'air, de petits nuages de fumée volatile qui disparaissent sitôt émis.

    J'ai tellement froid...

    Et pourtant je n'ai jamais autant aimé l'hiver ni le froid qu'en me disant qu'avec ceux-ci, si j'ai de la chance, ces saloperies de zombies seront gelés sur la route et que peut-être, je pourrai atteindre les bâtiments du gouvernements où sont gardés les codes d'ouverture du toit de l'astroport. Si je ne gèle pas moi-même avant. Cela fait quatre mois que je suis coincée ici, dans l'astroport où ne demeure qu'une vieille aéromobylette. Mais cette antiquité au pétrole suffira, avec les stocks qu'il y a, pour me barrer de cette ville morte. Cela fait quatre mois que je ne mange que des rations de survie pour cosmonautes, dont trois que l'eau courante s'est tarie et que j'ai pu dire adieu aux douches sous peine de mourir de soif, et enfin, deux mois que je n'ai même plus de quoi me laver à sec.

    Quatre mois que je suis seule.

    Quatre mois que l'invasion a commencé. Je m'en rappelle très nettement. Je revenais d'une sortie scolaire et tout le monde était déjà sorti de l'astroport sauf moi. Je ne sais plus ce que je voulais faire là-dedans. Mais si j'étais sortie avec les autres, avec les gens que j'aimais et connaissais, je serais morte à l'heure qu'il est. Comme les autres... J'ai vu un mec grisâtre se jeter sur la prof en dégainant ses dents pourries et lui arracher un bon morceau de bras, déglutir, puis recommencer. Les gens hurlaient.

    Une alarme a retenti, alerte de niveau maximal, les portes ont été fermées. Je ne sais plus trop comment je me suis retrouvée avec le personnel, et le lendemain matin quand je me suis réveillée ils étaient tous partis sans moi. Et sans l'aéromobylette. J'ai pleuré, crié, appelé, mais du haut de mes douze ans, je ne comptais pas autant que des adultes utiles, aguerris, compétents. Des sales adultes, avec leur logique utilitaire et leurs cœurs de pierre, qui m'avaient abandonnée ici, toute seule, une pauvre gamine. Sûr, si j'avais eu six ans de moins, soit ils m'auraient emmenée, soit ils m'auraient achevée avant de me laisser. Ils auraient eu pitié. Mais non.

    Je me rappelle vaguement qu'au début j'avais une peur panique des morts, je les entendais hurler tout le temps, le jour, la nuit, dans mes cauchemars... Le premier mois je n'ai pas osé sortir. J'explorais l'astroport, j'ai découvert les réserves de nourriture lyophilisée qui m'ont permis de tenir jusqu'ici. Je me suis fait mon nid dans une vieille carcasse abandonnée, j'ai peint l'intérieur avec de la peinture à retouches pour carlingues déglinguées, j'ai trouvé un matelas de secours, des couvertures, un vieil ordinateur dépassé qui ramait dès que j'essayais d'accéder à l'externet. Puis j'ai trouvé l'aéromobylette... et l'espoir est revenu. Si j'arrivais à ouvrir le toit, je pourrais me barrer d'ici.

    Je voulais cracker les codes d'ouverture et m'en aller en volant pendant qu'il faisait encore chaud, puis l'hiver venant, j'ai compris qu'il faudrait que je sorte pour aller directement dans les bâtiments chercher ce dont j'ai besoin.

    Alors je me suis raisonnée, vu la vitesse de déplacement du zombie moyen, si je cours un peu et que je grimpe sur un fil électrique, ils ne me rattraperont pas.

    J'ai commencé à faire des sorties. J'ai trouvé des conserves qui m'ont permis de varier mes menus, des armes et des munitions abandonnées qu'il a fallu dérouiller avant de pouvoir m'entraîner au tir sur zombie depuis une des fenêtres.

    Et blam, à chaque balle tirée, je me sentais plus vivante.

    Et cette après midi, j'ai trouvé une vraie savonnette. Un luxe inouï, une trouvaille inespérée ! J'ai décidé d'aller chercher de la neige puis de la faire fondre sur le chauffage central qui je ne sais par quel miracle est resté allumé. Je vais pouvoir me laver, mon dieu, me laver ! Mes cheveux gras et pleins de boue passeront en premier. Je pourrai même faire une lessive.

    Bref, je dois remplir mes caissons de neige et les faire passer par les conduits pour les descendre dans la salle principale, puis les suivre, faire fondre leur contenu et m'atteler à l'opération nettoyage. Même mon petit chez-moi mériterait un nettoyage de printemps -enfin d'hiver.

    Je regarde autour de moi depuis le toit, je n'entends plus les zombies.

    Je suis sortie par les conduits d'aération, j'ai toujours été petite et maigre et ça ne m'a jamais servi que pour sortir d'ici via ces tuyaux pleins de toiles d'araignées. Je suis perchée sur le toit et je respire l'air frais de la nuit. Mais même ici, même avec le vent qui emporte les odeurs, le froid qui les abat sur le sol comme des oiseaux gelés, même à deux cents mètres d'altitude, le goût enivrant de la liberté a des relents de pourri.

    Ce soir pourtant, même les crissements de leurs pas se sont tus, leurs râles se sont réduits à néant. Je fronce les sourcils, ferme les yeux très fort, je me concentre : pas moyen d'entendre un bruit. A croire que le gel les a vraiment fixés sur le goudron comme s'ils n'étaient que des gouttes d'eau prises dans une plaque de verglas.

    Je remplis mes caissons (des vieilles poubelles étanches en vérité) de neige fraîche, c'est fou comme ça tombe vite... Je les fais glisser dans mon conduit et m'apprête à aller retrouver la quiétude de mon astroport quand je crois entendre un bruit, une voix. Je tends l'oreille, l'appel ne revient pas. Je le mets sur le compte de mon imagination ou d'un zombie chauffé de l'intérieur et je glisse à mon tour dans le conduit, en ayant soin de le refermer derrière moi.

    Mes sorties sont toujours brèves, la plus longue était celle d'aujourd'hui.

    J'ai été fouiller un HLM voisin pour trouver mon savon, et une vraie mine d'or : deux boîtes de raviolis en conserve, et même pas périmées en plus ! On peut ajouter à mon butin de la journée l'alliance en or du petit vieux qui vivait là avant de manifestement mourir de la main du voisin (il avait été poignardé, ça m'a presque dégelé le cœur de le laisser comme ça, avec juste une vieille couette comme linceul sur son visage pourri) -j'avais presque honte, mais il n'en aura plus besoin, lui, alors que moi en me barrant il faudra bien que j'aie de quoi payer si jamais il reste encore deux ou trois installations humaines quelque part, non ?

    Quoique la logique de mon raisonnement est un peu comme un zombie : pourrie. Comme s'il pouvait rester un semblant de logique ou de société humaine dans ce monde alors que même le quartier fortifié de Néofortis s'est retrouvé rempli de goules gémissantes cherchant à boulotter leurs voisins... Ceci dit ce serait vraiment trop injuste qu'une gamine de douze ans comme moi soit la seule à avoir échappé au carnage, c'est ce que je me dis pour tenir. Le son de ma voix me paraît bizarre et déformé, j'ai arrêté de me parler la troisième semaine de captivité. Je ne sais pas si je pourrais encore arriver à produire des sons, puisque mon silence m'a bien souvent valu le salut -avec la coupure totale de l'approvisionnement qui rend inoffensif le réseau de fils à haute tension qui sillonne la ville.

    Ma ville.

    En attendant que ma neige fonde dans ses caissons sur le radiateur, je commence à enlever mes effets et à les trier en deux tas : les fringues qu'il faut absolument laver parce qu'elles puent horriblement la sueur, et donc l'humain et celles qui peuvent attendre la prochaine fois que je trouve un savon, au cas où je l'use entièrement avant d'avoir fini.

    Assise toute nue sur un immense logo de Coca-Cola, je contemple les vêtements que je dois laver. Deux t-shirts usés à la corde, un avec marqué « still alive » et un avec marqué « silent hill ». J'aime bien les films d'horreur. Ce ne sont que des films, eux, au moins, ils ne sont pas réels. Il n'y a aucun moyen d'en regarder dans l'astroport. Et mon ordi n'a plus de batterie. Je compte l'abandonner. Ma pauvre culotte qui pue, qui pue, qui pue, c'en est une horreur ! Longue vie aux toilettes sèches... Un treillis (étonnamment, qui me va, je ne savais pas que des gens aussi petits pouvaient faire l'armée) décoloré, mi grisâtre, mi kaki. Lui il faut que je le lave, les taches de boue brunes se voient vachement sur fond d'immeuble gris...

    Il faudrait que je me trouve des affaires de rechange en plus. Les miennes commencent à être usées.

    J'ai aussi décidé de laver mes mitaines en laine, les mailles sont toutes collées par ma transpiration (oui, j'ai les paumes qui transpirent facilement) et la combinaison de survie ultra-moulante-et-collante-et-stupidement-brillante que je porte sous les autres vêtements... Ma veste kaki, je décide de la décrasser, puis de la plonger dans la teinture noire. Je rincerai avec les eaux de lavage. Les épaulettes ternies, par contre, elles, elles vont rutiler si la teinture ne prend pas dessus... Il faudra que je les repasse au charbon.

    Je dois garder un caisson d'eau pour ma consommation personnelle des trois prochains jours. Je l'enlève du radiateur et le mets de côté. M'en reste quatre.

    Je mets mes frusques dans l'un, et m'en verse un sur la tête après m'être installée dans une immense bassine, trouvée je ne sais plus où. Je commence à frotter mes cheveux avec le savon en jurant : sales, emmêlés, roux feu, mes cheveux m'ont toujours énervée et là encore plus que d'habitude. Allez laver un tas de foin, en plus situé dans un endroit où vous ne pouvez pas le voir...

    Une fois mes cheveux à peu près propre, je m'attaque au reste de ma personne. Entièrement semé de taches de son, ma peau présente au moins l'avantage d'être à peu près partout visible et accessible, je peux donc la décrasser plus facilement que ma tignasse. Je suis plus brune à certains endroits qu'à d'autres, et j'ai de la corne sous les pieds. La faute à mes baskets...

    Je me sèche vite-fait avec une couverture de survie, mon linge doit avoir assez trempé maintenant. Je le sors et commence à frotter les taches de boue, de graisse et de transpiration avec mon savon. Après être venue à bout de la plupart des saletés, je le rince dans l'eau de trempage avant de la verser dans ma bassine. Je vide un demi-caisson plein dans un caisson vide et termine de rincer mes vêtements avec cette eau-là. Je les étends sur la grille du chauffage pour qu'ils sèchent plus vite, en attendant, je verse la mixture qui porte l'étiquette « teinture » dans l'eau de mon autre demi-caisson, puis y balance ma veste avec un froncement de nez, ça pue sa mère. Tous les zombies vont me repérer de loin avec ce délicat fumet, sauf si je passe par les toits...

     

    Une fois mon linge séché et renfilé, je me dégourdis et commence à courir partout pour remettre mon odeur sur mes affaires. Cela fait un mois que ma valise est prête et dans le coffre de l'aéromobylette, elle contient le minimum vital : une couverture de survie, de la nourriture lyophilisée pour une semaine (deux en me rationnant un peu, trois en me rationnant beaucoup), un bidon de 5L d'essence au cas où, quelques mètres de corde, et puis surtout, un livre. Mon livre. Mon livre à moi. Mon trésor. Épargné par miracle et par les intempéries, c'est un roman de fantasy que j'ai lu, relu et re-relu une centaine de fois sans jamais m'en lasser. Le titre s'est effacé avec l'usure et certains passages sont un peu décolorés, la faute à la mauvaise encre de l'édition de poche. Un livre. Mon livre. Cela fait quatre mois que j'y puise mes rêves et mes espoirs, je voudrais bien pouvoir plonger dans l'histoire et ne plus en sortir. Parce que l'histoire elle finit bien, et ma réalité se termine toujours mal...

    J'en suis là de mes réflexions quand par hasard mon regard tombe sur une grille que je n'avais pas remarquée avant, et pour cause, après lui avoir accordé un coup d’œil et un froncement de nez, je décrète que c'est une bouche d’égouts.

    Minute.

    Pourquoi les égouts puent encore comme ça puisqu'ils ont du être lavés par les eaux de pluie et qu'ils n'ont plus accueilli de déjections depuis un bon moment ?

    Et voilà ça y est, j'ai envie d'aller voir, mais je ne suis pas prête pour cette expédition. D'abord, je dois trouver une lampe de poche, des batteries de rechange et garnir ma banane de pilules nutritives, je ne sais pas combien de temps je vais rester là-dedans. Je dois aussi embarquer mon marqueur à murs phosphorescent pour marquer les murs au fur et à mesure, il ne manquerait plus que je me perde...


    33 commentaires
  •  Une fois dûment équipée, ma couverture de survie roulée sanglée sur le haut du dos, je me prépare à cisailler la grille à coups de pince à câbles. Les zombies ne savent pas grimper aux échelles...

    A peine le premier barreau est-il entamé qu'un terrible gémissement retentit et qu'une main putréfiée surgit entre les barres, accompagnée d'un odeur à réveiller un mort... A se demander si ce n'est pas elle qui, plutôt le virus, est coupable du réveil de celui-ci. Je retiens un hurlement et fais un bond en arrière, regarde autour de moi en un éclair et décide d'élire domicile dans un fouillis de câbles à une demie-douzaine de mètres du sol. Beurk.

    Des zombies dans les égouts juste sous mes pieds et je viens de passer quatre heures à poil juste à côté à attendre que mes fringues sèchent. Je ne sais pas si c'est à cause des nerfs ou du ridicule de la situation, mais un fou rire me monte au nez et menace d'éclater. Mais je dois absolument garder le silence, parce que le silence est garant de ma vie. Je fixe la main du zombie qui s'agite comme la tête d'un affreux serpent, et cet ahuri en dessous qui râle et qui geint à vous fendre les oreilles. Je plaque les mains sur les miennes, espérant atténuer le bruit. Peine perdue.

    Le fou rire refoulé en me mordant les lèvres, je sens maintenant poindre une grosse envie de pleurer. C'est pas juste ! Si je dois mourir au moins que ce ne soit pas tuée par un zombie stupide surgi d'un égout stupide et dans cet astroport stupide et toute seule comme une stupide, et emmêlée que je suis dans des câbles stupides, stupides, stupides, et stupide zombie et stupide astroport et tiens, stupide égout et stupide grille, et stupide zombie qui pue ! Stupide, stupide, stupide !

    J'en suis là de ma crise de rage quand un coup de feu retentit parmi les gémissements, la main du zombie retombe et se coince dans les barreaux.

    Quelqu'un la décoince, déclare que ça schlingue.

    Mon dieu cet inconscient est en train de parler à voix haute alors qu'il y a potentiellement d'autres zombies dans les égouts, que quelqu'un lui dise de la fermer...

    ...

    J'ai été exaucée. Mais l'autre a gueulé encore plus fort que lui. Pourquoi les autres survivants sont-ils tous débiles ? Ils vont attirer tous les morts du coin avec leur boucan.

    Je me cache le visage dans les mains, tremblante. Je deviens complètement hystérique, je me mets à trembler de plus en plus fort et à donner des coups de pieds et à ruer dans les câbles. C'étaient des voix d'adultes, des adultes, des adultes, des sales adultes qui vont me découvrir et me traiter comme une moins que rien et m'abandonner me laisser encore à la ramasse derrière eux ! Non, non, non, non, non. Ça ne doit pas arriver. Ça ne va pas arriver, parce qu'ils ne vont pas me découvrir, ni moi ni l'aéromobylette, c'est la mienne, elle est à moi et je veux pas la leur donner, il faut que je la cache, que je siphonne l'essence. Il faut que...

    Soudain le vent me souffle dans la figure alors que je suis à l'intérieur et qu'il n'y a pas de fenêtres.

    Je suis en train de tomber, et au moment où dans un horrible craquement je percute le sol et qu'une douleur fuse dans ma jambe gauche, la grille d'égouts gicle vers le haut comme un bouchon de champagne et une personne commence à sortir.

    Tout devient flou, mais si je ne bouge pas personne ne me verra, si je suis silencieuse et que je ne bouge pas, tout va bien se passer, personne ne va se trouver. Je me mords le poing pour ne pas crier, les larmes me brouillent les yeux. Je vois de plus en plus flou et de plus en plus sombre, je cligne les yeux pour y voir plus clair. Soudain je sens quelque chose céder sous mes dents et un goût métallique envahit ma bouche tandis qu'un éclair rouge envahit ma main à partir de la morsure. Et si en me mordant moi-même je me transformais en zombie ? La douleur de ma jambe au lieu de s'effacer au profit de celle de ma main, gagne en puissance.

    Je ferme les yeux en crachant le sang que j'ai dans la bouche, je cache mon visage dans mes mains. Personne ne va me trouver. Personne. Si je cache mes yeux pour ne plus les voir ils ne me verront pas non plus. Ils sont trois maintenant. Trois qui sont tranquillement assis à côté de la grille, j'avais raison ils ne m'ont pas vue.

     

    J'ai envie de crier... et tout devient noir...


    49 commentaires
  • -Tu n'as pas de cœur, déclare la femme en berçant contre elle la fillette rousse.

    Cette gamine sent le savon, le propre et la vieille teinture. Sa main, mordue profondément, est bandée -la bande est vieille mais propre et la tache de sang sous le pouce va en s'élargissant. Sa jambe s'est cassée, probablement qu'elle a dû tomber du paquet de câbles là-haut.

    -Si cette fillette a été mordue, lui réplique son compagnon, il faut la tuer tout de suite avant qu'elle ne se transforme en goule et nous tue à son tour.
    -Mais...
    -Rien du tout, tranche le troisième. Sa morsure ne sent pas le pourri comme les morsures de zombie, rappelez-vous de celle de Beth. Je pense qu'on lui a foutu une trouille bleue, oui. Elle a dû se mordre en tombant.

    C'est l'un des trios les plus improbables du monde.

    La femme a l'air d'avoir une vingtaine d'années, elle a les cheveux presque blancs et vaporeux, dont les frisottis giclent autour de sa tête comme une explosion de mèches sales, emmêlées, pleines de terre et de poussière. Son nez en trompette est chaussé d'épaisses lunettes vert pomme, qui rendent immenses ses yeux bruns, son visage ovale et blanc comme du lait est banal, sa bouche un peu large pour ses lèvres roses trop fines. Son cou est un peu long et ses bras et ses épaules trop carrés et épais. Sa grande silhouette se dégingande dans des vêtements piqués à un militaire mort, qui de toutes façons n'en aura plus l'utilité. Ses chaussures usées gisent en tas, pêle-mêle avec un blouson de cuir digne d'un loubard et un bonnet péruvien qui a été jaune vif, mais qui est maintenant grisâtre.

    Le premier homme, celui qui voulait tuer la fillette, est une vraie montagne. Il n'est pas spécialement grand, mais large et carré comme une armoire. Ses bras épais croisés sur son torse puissant, sa mâchoire large, ses yeux renfoncés dégagent une impression de puissance et sa voix qui porte loin est grave et profonde. Il lorgne la gamine comme si elle allait se décomposer sous la force de son regard. Sa peau sombre est couturée et brûlée par endroits, son crâne rasé luit légèrement dans les lumières de secours synthétiques. Il porte un pull-over en lycra blanchâtre tâché de brun dont les manches sont remontées, dévoilant ses avant-bras épais. Son jean noir tombe bas sur d'épaisses baskets de course.

    Le troisième personnage ne dit presque rien. Taciturne mais pas effacé, son visage ombré d'une barbe bleuâtre masqué par sa capuche qu'il tire d'une main gantée de mitaines noires, noires comme ses cheveux qui lui tombent en mèches grasses sur les épaules, comme le sweat qu'il porte et dont la fermeture éclair est bloquée en haut, noir également son pantalon en toile rentré dans ses rangers d'un anthracite passé. Il remet ses mains en place dans ses poches et fixe également la fillette de ses yeux verts qui brillent, animés d'un reflet de néon sur le carrelage. Son regard curieux la jauge, la soupèse.

    Il sort les mains de ses poches, les balance d'un air sceptique, puis un demi-sourire anime sa bouche fine au milieu de la barbe, faisant naître une fossette sur sa joue.

    -Je crois, déclare-t-il, que le mieux à faire c'est encore de dormir.

    Ce que s'étant étendu, il fait.

    Le noir le regarde, étonné, durant une minute, puis constatant que la femme s'est également allongée, serrant contre elle la gamine aux poings serrés, il grommelle dans sa barbe et saisit son fusil de chasse pour prendre la première garde.

    Le matin, pour autant qu'on puisse appeler ça un matin, surprend le jeune homme armé de son fusil, surveillant distraitement autour de lui.

    Il entend plus qu'il ne voit quelqu'un se traîner à côté de lui. Une petite main lui tire la manche et lui désigne quelques lettres tracées dans la poussière :

    t'es Dark Ezio ?

    Il masque son rire derrière une quinte de toux factice qui ne trompe personne, puis secoue la tête, un demi sourire lui éclairant la moitié du visage.

    -J'ai mal, murmure la fillette.

    Sa voix est rauque et cassée, aiguë et noyée dans des larmes qui ne coulent pas.

    -Tu t'es cassé la jambe. Enfin, on pense. On t'as mis une sorte d'attelle avec un emplâtre.
    -Je voulais sortir pour ouvrir le toit aujourd'hui. Mais maintenant c'est trop tard. J'aurais dû aller hier. Maintenant c'est fichu.
    -Pourquoi ça ?
    -Parce que vous allez prendre tout ce qu'il reste et puis me laisser derrière toute seule comme ils ont fait les autres il y a quatre mois.
    -Pourquoi on ferait ça ?
    -Parce que vous êtes des adultes. Et je ne suis pas utile, moi.

    Elle a craché le mot utile comme s'il s'était agi d'une terrible insulte.

    -Tu penses que tous les adultes sont comme ceux qui sont partis sans toi ?
    -Oui. Vous êtes tous pareils.
    -Je ne suis pas un adulte, moi. Enfin, pas encore.
    -Ah bon ?
    -Techniquement non, j'ai dix-huit ans la semaine prochaine. Pendant encore sept jours, je ne suis pas un adulte.
    -Bon alors on a sept jours pour partir et tu m’emmènes avec toi. Les autres c'est des adultes et ils vont vouloir me laisser derrière toute seule. Puis quand tu seras un adulte tu voudras partir sans moi aussi.
    -Puisque c'est comme ça je ne serai jamais un adulte. Si c'est pour laisser des enfants derrière moi, non merci hein !

    La petite se traine et se blottit contre lui, l'air craintif.

    -J'ai douze ans moi. Ou peut-être treize. On est quand ?
    -Le cinq janvier.
    -J'ai treize ans alors. Je suis née hier, mais d'il y a treize ans.
    -Joyeux anniversaire...
    -Hein ?
    -Ben, joyeux anniversaire. T'as pas un gâteau ? Ça se fête, treize ans.
    -Non. J'ai des raviolis en boîte pas périmés. Une boîte. Et de la neige fondue.
    -C'est important qu'ils soient pas périmés, les raviolis ?
    -Oui. C'est meilleur quand c'est pas périmé. C'est ma maman qui disait ça tout le temps. Mais quand c'est périmé c'est bien aussi, elle disait toujours derrière. Sauf quand c'est pourri là c'est pas bon.

    Elle réfléchit quelques secondes, puis décrète :

    -C'est pour ça qu'il faut pas manger les zombies : ils sont pourris et ils sentent pas bon.

    Là, « Dark Ezio » éclate de rire, un rire franc, clair, qui résonne sur le sol, les murs et le plafond. Un bon rire qui saute partout et qui éclaire autour de lui. La gamine ne comprend pas pourquoi ce rire, mais il fait chaud au cœur alors elle rit aussi, un rire en grelot qui ressemble à un sanglot joyeux. Jusqu'à ce que l'homme noir derrière demande de sa voix tonitruante :

    -Pourquoi vous rigolez comme ça ?

    Là la gamine se recroqueville, se cache derrière ses mains et se met à pleurer. Dark Ezio la prend dans ses bras et lui frotte le dos pour la consoler, entre deux éclats de rire mal refoulés.

    -Vas-y, ne t'inquiète pas. Il te fera pas de mal, promis. Explique-lui ce que tu m'as dit sur les zombies.

    La petite gémit derrière ses poings serrés :

    -Ils sont pourris donc on peut pas les manger parce qu'ils sont périmés... mais moi je suis pas périmée, vous allez pas me manger hein ? Je suis désolée monsieur l'adulte...

    Le type la regarde d'un air perplexe, hausse les épaules et répond :

    -T'es folle, t'es trop maigre, on va t'engraisser d'abord.

    A ces mots la fillette se met à crier et à pleurer, essaie de se reculer en se redressant mais sa jambe lui fait défaut et elle retombe, terrifiée. La femme, attirée par le raffut, la prend dans ses bras et la serre contre elle malgré ses cris, en lançant un regard noir lourd de reproche à l'homme, qui lève les bras en essayant de se justifier :

    -Je savais pas qu'elle connaissait pas l'ironie...
    -Tu plaisantes j'espère ! On arrive comme des petites fleurs alors qu'elle a dû voir personne depuis des mois, en lui foutant la trouille de sa vie et tu trouves rien de plus intelligent à lui dire que « on va t'engraisser pour te manger » non mais ça va pas dans ta tête !

    Dark Ezio essaie de calmer le jeu, emmène la fillette un peu plus loin et sort de sa poche un paquet de biscuits.

    -Tu en veux un ?

    Elle secoue la tête de haut en bas. Oui. Elle en veut bien un s'il en prend un aussi. Ça tombe bien il y en a deux, c'est fait exprès pour partager avec un ami, lui explique Dark Ezio. Il relève sa capuche, en fait il ne ressemble pas du tout à Ezio Auditorre. C'est pas grave, décide la fillette, Dark Ezio ça lui va bien quand même. Comment s'est-il fait cette grosse cicatrice sur la tempe droite ? Il s'est coupé dans un gros clou qui dépassait du mur. Ça a dû faire mal. Bof, il ne s'en souvient plus trop. Comment elle s'appelle ?

    -Je...., répond la fillette après un silence, je ne sais plus. J'ai oublié.
    -Allons, fais un effort. Tu dois bien avoir une petite idée, non ?

    Elle plisse son museau de souris et ses yeux noisette dans la réflexion. Puis secoue sa bouille chiffonnée d'un air dépité : non, elle ne se souvient plus du nom qu'elle aurait eu à donner à son nouvel ami.

    -Mais il faut bien qu'on t'appelle avec un nom à toi, non ?
    -Oui mais je m'en rappelle plus.

    Dark Ezio lâche un formidable juron qui fait rougir la petite fille.

    -T'as dit un gros mot !
    -Et alors ?
    -Ta maman elle te dit rien ?
    -Tu sais... ma maman, c'est comme la tienne sûrement, elles sont parties très loin...
    -Non, pas loin. Dans la rue, toutes vertes et pourries à essayer de nous manger. Quand on est mort on devient vert et pourri et on mange les gens. Mais la dame là c'est pas ta maman ?
    -Non, c'est ma grande sœur.
    -J'avais une grande sœur aussi. Je l'ai vue, après. Ma maman était en train de la manger. Alors j'ai tiré dans sa tête et puis dans la tête de ma maman aussi, boum, comme ça, avec un pistolet. Et puis maintenant elles peuvent pourrir tranquille sans avoir besoin de manger des autres gens.
    -Ah. Mais comment je vais bien pouvoir t'appeler, toi ?

    Un silence morne s'installe. Dark Ezio frotte son nez du bout de son pouce gauche en fronçant les sourcils. La fillette essaie de se rappeler de son nom. Elle grommelle dans sa barbe, les mains coincées sous les aisselles, en faisant des grimaces farfelues dans son effort pour essayer de se souvenir.

    -Chasser les araignées, je sais. Grimper dans des conduits d'aération, je sais. Manger une ration par jour, je sais. Sortir en marchant sur les fils électriques, je sais...
    -C'est quoi qu'il y a marqué sur ton t-shirt ?
    -Y'a marqué 'still alive' -(puis, d'un air tout fier)- ça veut dire 'toujours en vie'.
    -Tu sais pas quoi ? On va t'appeler Evaria, comme l'héroïne du jeu.
    -Pourquoi ?
    -T'es toujours en vie, non ?
    -Ah oui. C'est quoi ton vrai nom à toi ?
    -Loïc.
    -La dame elle s'appelle comment ?
    -Laure. Et le type là, c'est Maxence -on le surnomme Togepi (nda : prononcer toguipi) et il déteste ça.
    -Ça lui va pas du tout. Regarde il est trop gros et puis il râle. Et en plus il est pas de la bonne couleur.

    Un râle interrompt la conversation, une respiration cahoteuse dont l'écho métallique résonne dans toute la pièce...


    24 commentaires
  • Chacun stoppe ce qu'il était en train de faire pour écouter, l'oreille tendue.
    - Ça, commente la petite à mi-voix d'un air fataliste, c'est un zombie coincé dans un conduit d'aération. Soit on attend qu'il se décompose, et ça va prendre très longtemps ; soit on va le tuer et ça peut être compliqué s'il est coincé dans un tuyau vertical par exemple. Ou bien si il est pas coincé pour de vrai, là, c'est dangereux. Un peu.
    -Euuuh...., répond Dark Ezio.
    Un petit silence passe dans l'air immobile.
    -Bon alors, rétorque Togepi en croisant les bras, qu'est-ce qu'on fait ? On l'attend ici et on l'invite à prendre le thé ou on va le massacrer, ce macchab' ?
    -Vas-y sans moi, hein, lui répond Laure.
    -Moi je viens, dit la petite en la regardant, sinon il va se perdre.
    Un fou rire général s'ensuit, sous l’œil interloqué d'Evaria.
    -Bah, qu'est-ce que j'ai dit ?
    -Mais le pire, dit le colosse en retrouvant son sérieux, c'est qu'elle a raison ! Je vais me paumer moi, là-dedans..
    -Ben oui, et je vois pas ce que ça a de drôle hein...

    Flou.
    Très flou.
    Tout flou. Et puis ma vue se précise. Tout est vert et gris. Je regarde autour de moi, l'air angoissé, je suis seule. Très seule. Si seule...
    Je cligne des yeux, les polygones terminent de s'assembler. Je me retourne, il y a une petite fille avec une manette, éclairée seulement par l'écran de la télé, derrière moi, qui me fixe, les yeux équarquillés. Elle a l'air de boire mon image. J'esssaie de lui parler, de lui demander ce qu'elle fait là. Un patch s'affiche, blanc sur fond grisé : « où sont passés les autres ? »
    C'est quoi ce délire ?
    Et je remarque que... je ne projette pas d'ombre. Je me regarde, puis la petite appuie sur un bouton et je me mets à courir.
    Je suis Evaria. Je me souviens...
    Je suis un personnage de jeu, je suis coincée dans la cartouche de jeu. La fin du jeu... la fin du jeu...
    Non ! Je veux sortir ! Je veux sortir !
    Un râle se fait entendre, un pistolet apparaît dans ma main, une croix rouge sur la tête du mort qui court vers moi. Un patch apparaît en bas de l'écran: « sortez de la ville ». Oui, bonne idée. Fais-moi sortir de la ville, petite... Mon index droit appuie sur la gâchette, une balle va se loger dans le cerveau de la créature, qui tombe comme une masse, morte pour de bon cette fois. Je tourne sur moi-même, aperçois un tas de caisse qui permet de grimper sur le toit d'un appentis. La petite m'y mène, je lui jette un œil, elle est concentrée, les sourcils froncés, les mains crispées sur sa manette ; elle marmonne pour elle-même.
    Puis un écran gris apparaît, où je peux lire comme en miroir les mots « menu », « sauvegarder », « quitter », « reprendre ». La gamine pose sa manette, se frotte les yeux et commence à se lever au moment où un cri retentit :
    -EVA, A TABLE !
    -J'ARRIVE, MAMAAAAAN !, beugle la gamine.
    Et elle jette la manette, part en courant. Je touche le bouton « reprendre » d'un doigt. L'écran disparaît, je peux de nouveau bouger. Bon. Pas trop, sinon elle va le voir. Je me dégourdis un peu les jambes, bon sang, ça faisait longtemps que personne n'avais allumé la cartouche et je suis un peu rouillée. Je passe la main dans mes cheveux gras, c'est dégueu, j'espère que le jeu a prévu de trouver bientôt du shampooing ou une connerie comme ça. Je réaffiche l'écran de pause, et je rajoute un bouton : « aider Evaria ». J'espère qu'elle va le voir.
    Les humains sont curieux, ça devrait marcher...

    -Hey oh, fais gaffe, je suis pas un sac à patates ! Prends à droite, retentit une voix fluette, avec un écho bien métallique.
    -Oui ben ça va on est quand même dans des conduits d'aération alors fais pas l'andouille !
    -Sinon quoi ? Tu vas me laisser en plan ? Sans moi tu pourras pas ressortir ! C'est que pour ça que j'ai accepté de venir sinon tu te serais débrouillé tout seul avec le zombie !
    -Tu parles, je peux pas te larguer là-dedans, Loïc m'en voudrait trop...
    -D'ailleurs, comment ça se fait que t'es avec eux ?
    -C'est une longue histoire.
    -Cool, j'adore les histoires ! Tu me la racontes ?, réclame la gamine, les yeux brillants.
    -Seulement quand on aura buté notre copain pourri, réplique Maxence.
    -Et pourquoi les autres ils t'appellent Togepi ?
    -Pour m'embêter... ils trouvent ça drôle.
    -Moi je trouve que ça te va pas du tout.
    -Nan, sérieux ?
    -Bah oui. T'es de la pas bonne couleur. Et puis t'es pas dans un œuf avec des triangles dessus.
    -Ah. Pfff... tout ça c'est parce que je suis gentil c'est ça ?
    -Je sais pas. Du moment que tu me manges pas.
    -Je suis pas un zombie moi, je mange pas les gens. Je pouvais pas savoir que t'allais pas capter la blague...
    -C'était pas drôle -à gauche- tu m'as fait peur, hein.
    -C'est trop petit à gauche...
    -Oui, ce tunnel-là est trop petit, explique patiemment la petite d'un air exaspéré, sauf que c'est la droite.
    -Mfff... ah ouais, t'as raison.
    -Normalement après il est juste à droite, donc on fait plus de bruit, conclut Evaria à voix basse en mettant un doigt sur sa bouche.
    L'immense noir s'approche doucement du croisement. Un terrible hurlement retentit... et un zombie dont les bras ne tiennent plus que par des tendons déboule dans le couloir en courant, les mâchoires claquant dans le vide en avant.
    Togepi recule en essayant de tirer son revolver de son étui, mais l'arme se coince. L'homme jure... et un coup de feu retentit dans le couloir. Le zombie tombe contre un mur et glisse sur le sol dans un couinement horrible, laissant une traînée de cervelle dans son sillage.
    Il baisse lentement la tête, une silhouette minuscule, armée d'un derriger, est allongée entre ses jambes et lui tire la langue d'un air réjoui.
    -Bon alors, dit Evaria, maintenant qu'il y a plus de zombie, tu m'explique pourquoi t'es avec Dark Ezio et Laure ? Eux ils sont frère et sœur c'est normal, mais toi ?
    -T'abandonnes jamais ?
    -Nan.
    -Bon alors je vais t'expliquer.
    Il la ramasse et part dans le couloir.
    -Par où commencer... En fait, avant de les rencontrer, j'étais seul. Je faisais ma vie, un peu comme toi avant qu'on débarque. J'étais coincé dans une ruelle avec une quinzaine de macchabés qui allaient me déchirer en morceaux, un couteau et plus une balle. J'avais pas les couilles de m'enfoncer la lame dans l’œil, mais j'étais bien décidé à emmener un maximum de ces fumiers dans la tombe. Arrive cette fille avec une mitraillette, qui crie « A TERRE ! » et décoche une salve sur les zombies. Sont tous morts. Z'avaient qu'à pas avoir la tête tous à la même hauteur aussi. La fille commence à s'approcher de moi, et tout ce que je trouve à faire c'est : je remercie et je me casse comme un boulet. Première fois que j'ai rencontré Laure. Je le savais pas encore, mais Loïc était au dessus, sur les fils électriques et si elle était passé par là c'était pas du tout par hasard mais parce qu'il le lui avait demandé. Loïc lui je le connaissais un peu, c'était mon partenaire de gaming en ligne. On s'entendait vraiment pas mal du tout, depuis que j'ai quinze ans je joue avec lui. On s'était même déjà rencontrés.
    -Mais t'as quel âge en fait ?
    -Dix-neuf, pourquoi ?
    -T'as l'air beauuuucoup plus vieux. Bref, continue.
    -Merci, ça fait toujours plaisir... Et mon pseudo sur la plupart des jeux c'est Togepi, si tu veux savoir. C'est de là que ça vient, pour faire complet. Sinon ils auraient tout aussi bien pu m'appeler Dracaufeu ou Pikachu ça m'aurait tout autant fait chier. Un peu plus tard, genre deux mois à peu près ; j'avais tenté une sortie dans le coin, et j'entends du bruit dans les égouts. Vu qu'une horde de morts me poursuivait, je décide d'aller voir ce que c'est que ce bordel. Et là, bam, je retrouve Laure et Loïc. Ils me racontent qu'ils sortent tout droit d'une espèce de prison en sous-sol et qu'il n'y a qu'eux qui ont pu s'en sortir, j'ai pas tout bien compris, mais ne leur demande pas, ils t'en parleront tout seuls, s'ils le veulent. On est restés dans les égouts, je me suis un peu incrusté avec eux et je pense pas que ça leur aie fait de mal de parler de ça à quelqu'un d'autre -même si je me rappelle plus trop bien de ce qu'ils m'avaient dit. Ils y étaient pas restés longtemps, à ce qu'ils m'ont dit, ils ont eu de la chance. Finalement, on a dû rester trois ou quatre mois ensemble, jusqu'à ce qu'ils veuillent retourner dans les égouts pour essayer de rallier l'astroport, ils se disaient que s'il y avait un moyen de s'en aller c'était là-bas...
    -Il me manque les codes. Je pourrais les cracker en allant à la tour du gouvernement, en centre-ville.
    -Pardon ?!
    -Ben oui, que tu crois, le toit est fermé. Il faut des codes pour l'ouvrir, qui sont en centre-ville, dans la tour.
    -Si on avait su... putain...
    -Pourquoi ?
    -On en vient, de ces putains de tours !
    -QUOI ?! Non mais t'es sérieux là ?!
    -Tu sais où ils sont gardés les codes ?
    -Oui. Ma maman travaillait là-bas. J'y ai été plusieurs fois. Je sais où c'est.
    -Naaann... Oh, les boules...
    -Va falloir qu'on y retourne...
    -Ben, oui.
    Un silence passe, pesant, un silence coléreux, dégoûté. Quand il pense qu'ils avaient le moyen de se barrer à portée de main, et qu'ils sont partis sans !
    -Continue ton histoire. Vous êtes passés par les égouts pour venir ?, demande la petite.
    -Oui...
    -Y'avait quoi dans les égouts ?
    -Pfff... tu veux même pas le savoir.
    -Si, je veux ! C'est par là qu'on va passer. C'est full morts-vivants dehors. Je suis obligée de passer par les fils électriques pour sortir.
    -C'était pas joli joli... on a mis un mois pour faire quatre kilomètres dans les égouts.
    -Tu veux me raconter ?
    -En fait...


    37 commentaires
  • Elle l'a vu. Le bouton. Je n'ai pas rêvé, elle vient de cliquer sur « Aider Evaria ».
    Aucun ne l'avait fait avant elle.
    -Evaria ?, demande la gamine. Maintenant, on fait quoi ?
    -On sort, je lui réponds.
    Je peux enfin intéragir avec elle. Ma voix est dégueulasse, mal transmise par les baffles, elle cliquète et s'entrecoupe de parasites, se coupe parfois pour une fraction de seconde. Elle est incroyablement synthétique. Je regarde la petite.
    -Sortir d'où ?, elle me demande.
    Sa voix à elle, je l'entends comme brouillée par le micro, comme à travers une chute d'eau. Une voix lointaine, fluette, venant d'une fillette aux cheveux roux.
    Comme les miens.
    -Je veux sortir du jeu.
    -Tu peux faire ça ?
    -Oui.
    -Comment il faut faire ? Comment je peux t'aider ?
    -Il faut finir le jeu.
    -Mais... c'est ce que je voulais faire de toutes façons...
    -Sauf qu'à la fin du jeu, il n'y a jamais de cinématique. C'est là que je peux sortir, normalement. J'ai été coincée dans ce truc contre ma volonté, on m'a pas demandé.
    -Tu étais une personne avant ?
    -Oui, en quelque sorte.
    -Alors je vais t'aider. Et à la fin, il faut faire quoi ?
    -Je te dirai au fur et à mesure. On aura besoin de quelques trucs que je peux trouver dans le jeu. Mais je n'ai plus le temps, il faut que tu reprennes contrôle avec la manette, sinon d'autres zombies vont arriver et tu auras un game over.
    -D'accord.
    Elle remet sur pause, puis appuie sur « reprendre ». Le bouton « Aider Evaria » est toujours là.
    Un patch apparaît en bas de l'écran....
    « Lorsque la bulle en haut à droite de l'écran devient rouge, laissez Evaria prendre le contrôle. Pour laisser Evaria se déplacer seule, allez dans le menu, puis sélectionnez 'Aide Evaria'. Pour plus de détails, veuillez consulter la notice du jeu. »
    Mon dieu. Le jeu avait prévu que je fasse ça.
    Eva, la petite, me fait monter sur le toit via l'appentis que nous avons vu plus tôt. Une cinématique se déclenche, un panorama magnifique défile sous mes yeux : la ville au coucher du Soleil. Problème : il y a des morts partout. Je vais devoir rester sur les toits. C'est juste énorme.
    Mais je ne peux pas rester sur les toits bien longtemps. De ce côté, la distance entre les immeubles devient trop grande, et de tous les côtés la rue se termine sur une quatre-voies que je ne peux pas traverser...
    Mon regard se dirige vers une bâtisse, là-bas, sur laquelle sont amarrés des vaisseaux qui ressemblent à des dirigeables.
    -L'ASTROPORT, hurle Eva. Allez, saute !
    Elle trépigne, appuie comme une forcenée sur le bouton de la manette. Je saute d'immeuble en immeubles jusqu'à ce que le terrain défendu autour de l'astroport se précise.
    La gamine bâille, se frotte les yeux, déclare :
    -Bon, on va sauvegarder ici.
    Elle met sur pause, sauvegarde et quitte. Mais je ne suis pas fatiguée, moi ! Tant pis... je ne peux pas avancer sans elle, je suis pieds et poings liés.

    Evaria ne dit rien. Revenue à la salle principale avec Togepi, elle est descendue de son dos, a botillé jusqu'à Dark Ezio et s'est blottie contre lui. Elle le serre juste fort dans ses petits bras. Elle ne sait pas quoi lui dire. Après ce que lui a raconté le colosse -qui se fait d'ailleurs engueuler par Laure parce qu'il le lui a raconté, elle est soudain devenue muette. Elle a posé sa tête sur son épaule et n'a plus rien dit. Elle ne sait plus quoi dire.
    Dark Ezio lui frotte le dos. Il n'est pas à l'aise avec les enfants. Elle se met à pleurer.
    Quelque part, dans ses souvenirs, une voix hurle... TU AS FAIT UNE CONNERIE !
    Evaria se lève, titube jusqu'aux deux qui sont toujours en train de s'engueuler et dit d'un air très sérieux :
    -Stop. Normalement, ça, c'est pas ici que ça se passe. On doit aller chercher les codes d'abord.


    104 commentaires


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique