• Chapitre 6 - Il faisait froid...

    Date et heure inconnues.

    Il fait froid dans les cellules des robots. Peut-être parce qu'ils n'ont pas besoin de chaleur... Mais il fait trop froid pour des prisonniers humains sans rien d'autres que des chiffons de vêtements sales pour les garder au chaud. Les fers humides et glacés blessent ses poignets et ses chevilles, éraflent la peau nue et déposent dessus de la rouille. Leur poids la fait souffrir dès qu'elle esquisse un mouvement pour détendre ses bras et ses jambes endoloris. Jeunes ou vieux, quelle importance, de toutes façons, ils mourront tous ici. Elle a déjà subi leurs prélèvements. Ils ont enlevé un bout de sa peau, de ses cheveux, noté la couleur de ses yeux, ils lui ont fait une prise de sang... Et tout un tas d'autres choses dont elle ne se souvient plus. Ils ont vérifié que ses organes marchaient bien. Elle aussi, elle va...

    Et ce sera bientôt. Elle va finir comme les autres. Avant ils étaient quatre dans la cellule, trois autres humains contre qui se blottir lorsqu'on a trop froid, trois compagnons attachés au mur à côté de toi. Un garçon qui lui rappelait son chéri, même si, les dieux en soient remerciés, ce n'était pas lui. Parce que ce garçon est parti lui aussi. Et maintenant il n'y a plus qu'elle ici, transie de froid, rencognée contre un mur de pierre humide et froide, le plus loin possible de la grille de la cellule. Une larme coule sur sa joue, dans un ploc humide, tombe sur le sol. La suivante vient se nicher au creux de ses lèvres, qu'elle lèche sans cesse dans un réflexe. La larme a le goût de sel. Elle essuie rageusement les traînées humides sur ses joues. Un humain ne pleure pas face aux robots.

    Tant qu'elle a un cœur elle ne doit pas leur faire la faveur de pleurer. Non. Jamais. Ne verser aucune larme. Elle sait qu'elle finira comme eux, une créature sans âme, sans cœur, sans sentiments. Ni plus ni moins qu'un programme. Rien d'autre.

    Mais son cœur, tant qu'il est là, cogne contre ses côtes. Elle ferme les yeux et appuie la tête contre le mur...Elle se souvient... Quand elle est revenue il y a trois ans. Un robot était assis dans la cuisine, les caméras collés sur les pattes de mouches d'Erwann. Il était en train de griffonner sur sa carte, marquant l'emplacement de quelques villes en ruine qu'il avait découvertes en vert clair sur le vert sombre qui représentait la forêt et l'or passé qui montrait les étendues de sable.

    « -Si on se réfère à tes notes, avait marmonné le robot, la plus au nord c'est Eknathon, la plus au sud, c'est Jorka, celle que tu es en train de marquer s'appelle... Grenjis ? Punaise, je peux pas te lire là t'as écrit trop petit.

    -Si, c'est bien Grenjis. Avec une mine de cuivre. Et la dernière ?

    -Anghara.

    -Hm. Là-bas y'avait que du sable et des cailloux, mais y'avait aussi une belle source souterraine et des arbres. Un bon endroit pour mettre une place forte. J'irais bien fonder une colonie là-bas. »

    Elle était alors intervenue :

    « -Où est-ce que tu comptes partir sans moi, toi ?

    -Euuuh, nulle part, avait répliqué Erwann en se retournant d'un bloc, rouge comme une pivoine. »

    Mais ces temps-là étaient bien loin... Trois ans s'étaient passés. Ils avaient investi Anghara et y avaient établi des plans pour renverser les robots, tout était centré sur les Anciens. Neufs Anciens qui dirigeaient tout, étaient le nœud, la clé, la base de tout. Il suffisait de faire disjoncter les huit qui restaient comme Erwann l'avait fait quelques années plus tôt avec la Faux. C'était si simple...

    Et puis ils étaient venus sur Anghara. Sur Grenjis aussi, mais sur Grenjis il n'y avait personne à cause du cuivre qui risquait de les attirer, et Grenjis était dur à défendre. Ils les avaient repérés bien avant qu'ils arrivent, ils s'étaient donc cachés, mais elle était restée en arrière pour les couvrir avec son escouade et ils avaient été capturés. Elle ne savait pas ce qu'étaient devenus les autres. C'était il y avait environ un an...

    Elle a si froid et il fait si noir qu'elle ne peut presque plus se rappeler la douceur et la chaleur du soleil d'Anghara, la lumière éclatante de ses rayons sur le sable jaune... Elle referme les yeux et se laisse repartir dans ses souvenirs. Ils sont tout ce qu'il lui reste. Même si la fièvre la fait divaguer à voix haute, elle n'a pas pleuré.


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