-
L'obscurité
Voici une petite nouvelle que j'ai retrouvée dans mon ordi, et que j'ai donc relue et un peu remaniée sur certains points. Elle fait un peu moins de 4 pages A4, et elle est plutôt courte à cause des nombreux retours à la ligne qu'exige le style que j'ai choisi, car il est plutôt haché et comporte certains passages quasiment en langage oral, car mon personnage a vécu une grande partie de sa vie dans un environnement très fermé. Comme disent les Anglais, enjoy!!!
Plic.
Ploc.
Plic.
Ploc.
Tap-tap. Tap-tap.
Tacatacatactactacatacatacatac...
Fait la pluie en tombant sur le sol, dehors.
La pluie tombe. Elle ruisselle, glisse, serpente, s'insinue dans tous les trous.
Et tombe devant moi, gouttes étincelantes. Un éclair de lumière avant d'être absorbée par le sol.
Les gouttes de pluie tombent. Il pleut tellement fort qu'au bout d'un moment, une flaque se forme. Toute petite flaque au départ, nourrie par le ruissellement incessant de l'eau qui tombe du ciel, l'eau forme bientôt une petite mare. Une mare.
C'est moi qui en ai marre. Je suis enfermé ici depuis tellement longtemps que j'ai oublié à quoi ressemble le Soleil.
C'est tout petit, ici. Il y a une torche, c'est gentil, sauf qu'elle s'est éteinte. Personne n'est venu la rallumer. Heureusement que sur la roche de la cellule ronde où je suis enfermé, des champignons phosphorescents poussent. Ils n'éclairent pas beaucoup, mais c'est tout de même mieux que le noir absolu.
Je ne sais pas combien de temps ça fait que je suis enfermé ici. Au début, j'avais un calendrier et une montre. La montre, elle était vieille, elle avait le bracelet cassé. Mais elle marchait, c'était tout ce que je lui demandais. Et le calendrier, je l'ai fini, j'ai coché chaque case jusqu'à ce qu'il n'y ait plus assez de place dedans pour mettre une autre croix. J'ai été bête, j'ai fait des grosses croix. Et longtemps après que le calendrier, devenu inutile, ait été remisé dans un coin, la montre s'est arrêtée. Je n'entendais plus son tic-tac, que je croyais éternel. Le silence m'a fait peur alors, pour faire du bruit, j'ai un peu crié, j'ai chanté une comptine de quand j'étais tout petit, je ne m'en rappelle plus. Ça parlait d'un escargot, je crois.
Toujours est-il qu'au bout d'un moment, un gros homme est venu -ce n'est pas le même que celui qui m'apportait les repas- pour me dire que si je n'étais pas malade, je n'avais qu'à me taire. Il sentait la vieille transpiration, beurk ! Même moi, je garde un peu d'eau pour me laver.
D'ailleurs, la flaque a atteint une taille respectable -si je ne m'en étais pas lassé, j'aurais pu sauter dedans. Au moins, j'aurai de quoi boire, mais il ne faut pas que j'attende trop longtemps, sinon l'eau ne sera plus bonne.Ça fait maintenant au moins trois jours qu'il pleut. J'ai de l'eau fraîche en permanence. Les champignons sont de plus en plus gros. J'ai faim. Ça fait maintenant au moins trois jours que plus personne ne pense à m'apporter à manger, même pas un quignon de pain.
Pour passer le temps, je me rappelle les premiers temps où j'étais ici.
C'était vraiment tout propre. Même les murs brillaient, et j'avais un vrai lit. Maintenant, le sommier a pourri a cause de l'humidité ambiante, le matelas est tellement rongé par toutes sortes d'insectes que je n'ai plus vraiment envie de m'en approcher. J'ai récupéré la couverture, qui tient le coup pour l'instant, et je dors par terre. Avant, j'avais trois repas par jour, dont un avec de la viande. Jusqu'à il y a trois jours, j'avais de la viande une fois de temps en temps et la plupart du temps, un seul repas par jour, vraiment pas grand chose. Un bout de pain plus ou moins gros, une cruche d'eau, quelques fois un fruit si le gardien ne l'avait pas gardé pour lui. Parfois, le gardien en question oubliait un des prisonniers et il fallait partager avec lui ce qu'on avait pour qu'il puisse manger. Parfois, personne n'avait de repas.
Au tout début, je me souviens, quand je suis arrivé ici. Je m'en rappelle très nettement. Il faisait beau. Mes parents venaient d'être arrêtés, et on devait me garder quelques jours, le temps de pouvoir m'interroger. Je ne me suis pas inquiété. C'était tellement plein que j'ai partagé la cellule avec quelqu'un d'autre – une fille. J'avais douze ans, je n'aimais pas les filles -et celle-là, au départ, je l'avais détestée. Elle pleurait tout le temps, elle criait et elle se roulait par terre. Une fille de riche, une longue robe à rubans, des cheveux blonds bien bouclés et bien propres. Au bout d'un moment, ils en ont eu marre de ses cris. Ils l'ont prise pendant quinze heures. Je me suis rendu compte que j'avais presque fini par l'apprécier, quand elle ne piquait pas de crise. Et quand elle est revenue, elle ne ressemblait plus à rien. Elle avait des traces de coups partout. Elle pleurait.
Elle n'a plus jamais rien dit.
Et moi, on m'a oublié. Je suis resté dans la cellule avec la fille qui était devenue folle et qui ne disait plus rien. Elle avait peur de tout. Mais elle pleurait toujours.
Je crois que ce n'était seulement plus pour les mêmes choses.
Elle pleurait très souvent. Mais dès qu'elle entendait les pas de quelqu'un dans les couloirs, elle arrêtait de pleurer et allait se rencogner dans un coin, les yeux agrandis par la peur.
A part son mutisme qui faisait que je ne comprenais pas toujours ce qu'elle tentait de me dire, on s'entendait bien. Des fois, quand on avait froid, la nuit, on empilait nos deux matelas et on dormait ensemble.
Je crois que je l'aimais vraiment bien, un genre de petite sœur.
Je n'ai jamais eu de petite sœur.
Un jour, c'était un peu avant que j'ai vraiment terminé le calendrier, je devais avoir peut être seize ans ou un truc comme ça, quelqu'un est venu la chercher. Elle avait été libérée pour une raison quelconque, donc quelqu'un était venu la chercher. C'était logique.
Moi, j'allais être tout seul, mais moi, j'avais été oublié dès le début dans ce coin.
Elle n'a pas voulu partir. Elle a crié, elle a pleuré, elle a secoué la tête, elle a dit non, non, non, non, non. La personne envoyée pour l'emmener lui a demandé si elle voulait emmener quelque chose. Elle m'a pointé du doigt, elle s'est accrochée à moi.
Ils ne l'ont pas laissée m'emmener.
J'aurais été content de partir.
Et dès qu'elle n'a plus été là, je me suis senti vraiment seul.Ça fait vraiment longtemps que personne n'a pensé à m'apporter à manger. Je suis vraiment tout seul; il y a un certain temps, mais pas beaucoup, tous les autres ont été emmenés les uns après les autres. J'ai faim.
Je me demande si les champignons phosphorescents sont comestibles.
J'ai faim !Tiens, l'eau ne coule plus. Ça veut dire qu'il s'est arrêté de pleuvoir.
Je récupère de l'eau dans la cruche. Je la garde pour un peu plus tard. Cela vaut mieux que de mourir bêtement de soif. Je me dis ça, mais je sais bien que personne ne viendra me chercher -ma seule compagnie depuis bien longtemps, c'est la pluie.
Il y a un truc qui me gène sur mon menton depuis un moment, quand même. Ça ressemble à des poils. Ça a commencé juste après que j'aie fini le calendrier.
Sauf que maintenant qu'il fait presque tout noir, je ne peux plus les enlever. Déjà que j'avais du mal avant...Je crois que je me suis endormi. Je viens de me réveiller en sursaut, j'ai réalisé un truc horrible..
Je ne me souviens plus comment je m'appelle.
Je vais me couper un bout de champignon fluorescent et le manger, j'ai trop faim. Tellement faim que j'ai réussi à oublier mon nom. Je suis pas certain d'arriver de m'en souvenir après avoir mangé, mais bon, au cas où... Et j'ai vraiment très très faim.
Les champignons avaient un goût bizarre. Ça ressemble à quelque chose que j'adorais quand j'étais petit, je ne me souviens plus trop comment ça s'appelle. Cocholo ? Chocolo ? Cochoa ? Un truc comme ça.
Du chocolat. Je crois que ça s'appelait du chocolat.
Et avec ça, pas moyen de me souvenir de mon prénom.
Je pense à la fille. Je ne connais pas son nom non plus, mais ça c'est normal. Je ne l'ai jamais connu, son nom.
Je me demande si elle pense à moi, des fois.
Je me demande si elle m'a oublié.
Je me prends à espérer que je me réveille et qu'elle soit encore là. J'ai envie que tout ce que j'ai vécu soit un cauchemar.
Réveille-toi ! Réveille-toi !
Je me pince - ça fait mal !
Tout d'un coup, j'ai peur du noir. Je hurle, je tape contre les barreaux à m'en écorcher les mains. Je crie, je pleure, j'appelle à l'aide.
Tant pis si je me fais fouetter par un garde.
Je ne supporte plus d'être tout seul.
Tout d'un coup, mon corps de m'obéit plus. Je tombe dans les vapes.*
* *Pendant ce temps, ailleurs dans la prison.
-Vite, venir !
La jeune femme halète à force de courir. Elle regarde autour d'elle, paniquée.
-Me souviens plus bien. Où ?
La personne avec elle ahane, où est-ce que cette petite folle va encore la faire courir ? Cette prison est abandonnée depuis plus d'une semaine, impossible qu'une personne vivante s'y trouve encore !
-Entendre quelque chose ! Venir par là !
Maintenant qu'elle le dit, quelque chose qui ressemble à une voix humaine se fait entendre, suivive d'un choc sourd.
-Non ! Pas ça !
Ça y est, la voilà qui recommence ! Elle attrappe une torche et s'engage dans un long couloir sombre. La petite inconsciente risque d'enflammer ses jupes avec les étincelles ! Et voilà le bas de sa robe tout crotté, qu'il faudra ensuite laver... Même si elle a maintenant plus de vingt ans, cette fille-là se comporte comme si elle en avait dix. En plus, elle ne parle pas correctement alors que, petite, sa diction et son vocabulaire faisaient la fierté de sa famille. Le chaperon s'étonne d'ailleurs de ce changement. Qu'a-t-elle bien pu vivre pour s'enfermer dans un tel mutisme ?
Ah, la revoilà !... assise dans la boue, bien sûr.
-Mais qu'est-ce que... ?!
-Vite, toi ouvrir la porte ! Vite !
Allons bon.
Alors l'homme se sert de son impressionante force physique pour forcer la grille.
Qui est l'homme qui repose dans cette cellule ?
-Pas mort, pas mort... S'il te plaît !
Elle le connaît donc ?
-Qui est cette... personne ?
-Lui, gentil. Pas rester ici ! Emmener... avec nous.
Elle dessine dans la boue du bout du doigt. Un carré surmonté d'un triangle. Une flèche qui les relie à l'inconnu.
-Lui, maison.
-Bon, si tu veux.*
* *-Lui, maison.
-Bon, si tu veux.
Et un long soupir. Je connais cette voix. Je suis sûr que je connais cette voix. Elle a changé mais je suis sûr de l'avoir déjà entendue quelque part.
Je me sens soulevé de terre. Ballotté comme un sac de patates par dessus une épaule.
-'tention ! Fragile.
Mais enfin, à qui est cette voix ?! A qui est cette voix ?!
J'ouvre les yeux.
Je vois des cheveux blonds bien bouclés, bien propres. Ils sont un peux plus roux, maintenant. Je vois une robe longue bien mise, pleine de rubans. Elle est pleine de terre, la robe. Je souris.
Elle est bien venue me chercher.
Insupportable. Elle a du faire un caprice.
Elle a toujours été horrible, cette gamine. Elle se retourne pour réitérer ses mises en garde :
-Attention, hein. Fragile !
Le ton, autoritaire, n'en reste pas moins celui d'une gamine de dix ans.
J'ai encore faim. A cause du tangage, j'ai la tête qui tourne.
Je retombe dans les limbes.*
* *-Ah ! Trop lumière ! Resté tout seul dans noir, du coup, pouf, mal aux yeux.
Elle détache son châle et le dépose sur le visage du rescapé pour le protéger du Soleil éblouissant, à l'image de la joie qu'elle ressent.
Elle est heureuse, elle est heureuse !
Il est vivant ! Vivant !
-
Commentaires
Merci, ça me fait extrêmement plaisir! Je suis sur un truc un peu plus long en ce moment, donc ça me motive pour continue! Yihaaa!
Wouah ! J'adore ce que tu écris ^^
C'est tellement bien détaillé qu'on pourrait s'y croire :)
Tu as vraiment beaucoup de talent ;)
Ajouter un commentaire
J'aime beaucoup ton style, tu écris vraiment bien :3