• Ma fille

    Voilà un projet que j'ai en cours (c'est un roman, donc TRES TRES LONG) qui se compose de plein de scènes comme celle-là. J'en ai déjà écrit deux ou trois autres mais celle-là est ma préférée. En règle générale, chaque scène fait 2 ou 3 pages (celle-là un peu moins de deux)...

    Le principe c'est qu'on suit un type, dont on ne connaît rien, et on découvre son histoire à travers ses rêves et cauchemars. En voici un. (oui, je sais qu'il m'est arrivé de faire de meilleures intros...)

    Au moment de ta mort, tu avais un peu plus de douze ans. Peut-être treize. Tes vêtements en lambeaux, raides de crasse, de boue et de sang séché, craquaient quand tu marchais, de petites plaques de saleté se décrochant dans un infime bruit mat avant de tomber en silence.
    Tu avançais. Tu avançais droit sur moi. Tes cheveux raides et noirs, collés en paquets par ton sang, tombaient devant tes yeux aveugles, voilés de gris et criblés d'insectes.
    De gros morceaux de chair manquaient à ton bras et ton avant-bras gauche. Les os de ton épaule et ton cou du même côté étaient presque à nu, les fibres de tissus restantes maintenues entre elles par le sang qui les recouvrait, mat, presque noir de poussière -et recouverts d'une quantité incroyable de morsures et de petites plaies, il manquait parfois -souvent- de la peau. Ton côté droit lui, était presque intact : c'était celui sur lequel tu étais tombée lorsque tes jambes avaient cédé.
    Maintenant, tu ne ressentais plus la fatigue. Tu ne ressentais plus rien, que la faim qui faisait claquer tes mâchoires -à droite, celle du bas pendait lamentablement, là une main morte avait tiré sur ta peau pour retourner ton visage et accéder à la chair, brisant ton cou dans le même mouvement. Ta tête penchait sur le côté, formant un angle bizarre avec ton cou et le reste de ton corps -angle sous lequel on voyait l'os, blanc, qui déchirait ta peau.
    Mais ça non plus tu ne le sentais pas. Tu ne ressentais plus que la faim, cette faim dévorante qui faisait bouger tes muscles froids et raides, ta chair en décomposition.
    Cette faim qui te faisait avancer, poussant des râles horribles, tes yeux grisâtres fixés sur moi.
    Ta peau était blanche, presque verte, grise de saleté et brune de boue séchée -une pellicule de poussière que lavait la pluie, dévoilant la chair en dessous, diaphane car vidée de sang. Le ciel était gris et il pleuvait un peu. Assez pour imbiber mes vêtements et me donner froid, me faire frissonner, mais pas assez pour plaquer mon odeur contre le sol et que tu ne puisses plus la suivre. Pas assez pour que tes yeux ne puissent plus me suivre.
    L'herbe, jaune à cause de la récente sécheresse, t'arrivait à la taille.
    J'ai levé mon revolver à silencieux. Je t'ai mise en joue. Ton pas traînant emplissait mes oreilles, plus lent que les battements de mon cœur, comme si les coups sourds qui retentissaient dans ma tête rythmaient tes pas.
    J'ai pensé aux rêves que tu avais pour te vie -le métier que tu voulais faire. Tu avais déjà prévu dans quelle école tu irais après le lycée, le cursus que tu suivrais. Comment s'appelait cette école, déjà ?... Impossible de m'en rappeler, malgré le millier de fois où, exaspérée, tu m'as répété son nom.
    J'ai pensé à ce garçon dont tu parlais sans cesse -lui aussi j'ai oublié son nom...
    Me pardonneras-tu un jour ?
    De n'avoir pas pu te dire ce que je voulais te dire quand il l'a fallu. De n'avoir pas passé plus de temps avec toi. Ton rire résonne pourtant encore dans ma mémoire... Mais jamais plus je n'entendrai ce son mélodieux. Pardonne-moi de n'avoir pas pu te sauver.
    D'être arrivé trop tard.
    De n'avoir pas fait ce qu'aurait fait un père -te sauver, ne laisser aucune de ces abominations te toucher. Mais je n'ai pas pu...
    De ne pas avoir été un père assez longtemps.
    J'entends encore tes cris -mais c'était fini, quand je t'ai atteinte, tu étais déjà partie.
    Ta main morte se lève vers moi et un rictus tend le côté gauche de ton visage, ta bouche déjà béante s'ouvre encore plus, dévoilent ta langue rouge au milieu de tes dents étrangement blanches, prises dans un flou lumineux -comme tout ce qui est blanc.
    Ce n'est plus ta main. Ni ton visage. Ce sont ceux de la mort.
    Je ne te reconnais plus, ma fille.

    Le coup partit, assourdissant malgré le silencieux.
    Un immense BANG ! dans une mer de silence.
    Comme toutes les nuits il se réveilla en sursaut, couvert de sueur, au sommet de la montagne, sur un inaccessible plateau.
    Le vent portait à cette hauteur, les lointains geignements des zombies qui, tout en bas, attendaient l'inéluctable chute de leur proie.


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