• [date du 27 septembre]

    Des regrets, tellement...

    Il se rappelait quand ils avaient quinze ans.
    -Moi, quand j'avais ton âge...
    -T'as qu'un mois de plus que moi!
    -J'allais dire que j'étais malade!
    -....
    Elle avait eu raison, un mois plus tôt, elle avait eu une angine.

    Tous ces souvenirs, clairs comme de l'eau. Limpides, purs, lumineux....
    Il se rappelait son rire, son sourire, il se rappelait sa voix.
    Maintenant ses lèvres ne s'étireraient plus en ce sourire si large, il n'entendrait plus ce rire si sincère. Plus jamais...

    Elle le taquinait souvent en lui disant qu'il ne serait jamais plus vieux qu'elle, elle lui tirait la langue, et elle riait.
    Maintenant elle ne rirait plus. Elle ne se moquerait plus, avec cette gentillesse qu'elle avait. Elle n'étreindrait plus la vie....

    Dès qu'elle se croyait seule, elle chantait. Ce qui lui passait par la tête.
    Elle chantait... Il l'avait souvent entendue.
    Elle connaissait des tonnes de chansons.
    La musique c'était une grande partie de sa vie. Elle adorait les sons qui s'enchaînent, les voix qui chantent et les instruments qui résonnent, elle adorait les mélodies et ressentait les émotions que la musique véhiculait.

    Parce que maintenant elle n'était plus. Il ne restait que son corps glacé, si froid, si froid. On l'avait vêtue d'une robe blanche, placée dans une belle boîte. Elle aurait détesté. Il esquissa un pâle sourire à l'idée de sa réaction si elle savait....
    "-Mais qu'est-ce que vous foutez là?! Quelles gueules d'enterrement... ah, c'est mon enterrement? Genre! Wait, c'est quoi cette vieille robe dégueu? Vous trouvez ça représentatif du personnage? Non mais vous êtes sérieux là? Vous m'avez prise pour une mariée ou quoi là? Non mais sérieux, vous déconnez les gens. Mettez de la musique débile, faites quelque chose! Faites venir un clown habillé en rose fluo, qu'on rigole! Et arrêtez de déprimer, la vie continue!"

    Les premières poignées de terre firent un bruit mat en tombant sur le cercueil. La sienne lui laissa quelques grains de terre sur la main, qu'il contempla un instant... Une goutte d'eau tomba sur sa main. Il leva la tête, le ciel était bleu...
    Il pleurait. Il pleurait son amie, non pas pour ce qu'elle avait été mais pour ce qu'elle ne serait plus. Parce qu'elle ne tomberait plus jamais sur personne comme une tonne de briques. Elle ne rirait plus. Elle ne chanterait plus. Elle ne ferait plus rien. Plus jamais... Et il y aurait tant de gens pour l'oublier...

    Un peu plus d'un mois après l'enterrement, il trouva le courage de revenir sur sa tombe. Il se souvint que sa mort n'avait pas été très douce. Elle lui avait fait promettre de dire que ça avait été très vite et qu'elle n'avait pas souffert, même si lui saurait que ce n'était pas vrai...
    Il déposa un bouquet de fleurs, des roses blanches, sur la dalle de marbre où se flétrissaient déjà les fleurs déposée la semaine d'avant, par quelqu'un d'autre, quelqu'un qui comme lui, pensait à elle. Puis il se rappela qu'elle n'aimait pas les fleurs. Et surtout pas les roses. Et encore moins les blanches... Elle trouvait ça nian-nian au possible, les roses blanches. Elle n'avait jamais correspondu à la nymphe virginale qui, elle, les porterait, ces foutues roses blanches. Il eut un sourire carnassier et dit à la tombe:
    -Tu vois, toi qui disais que je ne serai jamais plus vieux que toi, tu t'es trompée.

    Et il éclata en sanglots.


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  • [date du 29 septembre]

    Un moment de vie, une étincelle, un monde qui sourit, et tout s'effondre sous le ciel bleu stabilo. Ce ciel bleu et uni qui me nargue, refuse d'afficher un nuage pour me donner une ombre sous laquelle me cacher, même pas une goutte de pluie pour étancher ma soif, et ce soleil brûlant qui me cuit les joues et les épaules, à force de le regarder je vais devenir aveugle...

    J'écris, pour oublier ou pour me rappeler, pour m'enfuir, m'ensevelir dans mon monde des merveilles d'encre et de papier. Origamis, croquis, livres, des plis et des marques, des histoires qui volent et les contes qui s'étalent, de la peinture qui coule dans des tourbillons de couleur... et tant de coins de pages pliés dans le livre de ma vie, de moments que je ne peux pas oublier.

    Ce sont souvent les mauvaises pages qui sont cornées, des moments que je voudrais oublier et qui pourtant, dès que je me retourne ou que j'arrête d'avancer se rappellent à mon souvenir, avec leur odeur de vieux livre oublié, ces pages noires de l'encre sanguinolente qui racontent les phases les plus sombres de ma vie. Ces pages tellement pleines de mauvais souvenirs, écrites avec le sang que j'ai versé, alors même que ma peau n'a jamais été entamée... Mes espoirs brisés. Mes rêves avortés. Tout ce que mon coeur a pu saigner. Toutes ces fois où on m'a sous-estimée. Toutes ces fois où on m'a insultée pour rien, manqué de respect, où on m'a rejetée pour rien, et toutes ces larmes que j'ai versées, des larmes de rage, de honte et de tristesse... Tellement de larmes qu'on en ferait un fleuve. Si je me retourne c'en est fait de moi.
    La mort me regarde avec son rictus collé sur son crâne sans vie, coincée derrière sa vitre comme un tigre dans un zoo. Je suis sa proie. Elle le sait. Je le sais.

    Et je lui tourne le dos. Réellement. Et ces oiseaux de malheur, ces avions en papier qui saignent sur les murs du couloir, peuvent me dépasser et me tourner autour.... je m'en moque.

    J'ai encore une armure d'éclats blancs pour me protéger. Des bons souvenirs. Un peu écaillés, d'accord, tous cabossés même, et puis pleins de trous. C'est plus une armure c'est de la dentelle en émail blanc plus tout neuf, mais derrière, je suis en sécurité.
    Et la lame de la faux de la mort cogne sans arrêt contre mon casque et résonne dans mon crâne comme un glas: je suis derrière toi, un jour je t'aurai...
    Oui, un jour j'enlèverai mon armure et je te laisserai m'emmener.
    Mais d'abord, je serai vraiment heureuse. Et avant ça, tu peux aller te faire foutre.

    Pour ces moments où on veut mourir. Pour ces moments où on en peut juste plus de vivre... Pour ces moments où on hurle de douleur, où on est enchaîné par le chagrin et où on ne sait plus ce qui nous rattache à la vie, il faut se rappeler de l'armure. Pour tous ces moments... je te donne mon armure. Je te donne ma vie, mon énergie, ma force de continuer, si je peux te la partager, je le fais. Je te donne ma volonté d'avancer, mon sourire facile et permanent, je te donne ma chaleur, je te donne la main.
    Je te donne mon armure.


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  • Texte écrit pour le concours de Miss Koota (ici). J'essaierai de l'illustrer un peu plus tard, mais je ne garantis rien u.u ... enjoie!

     

    C'était la nuit. Cela faisait cinq ans qu'il conduisait sur la même ligne. Il conduisait un train, le même. Il partait du même endroit pour aller au même endroit, y rester 24h et ensuite revenir, le tout une fois par semaine depuis cinq ans.. Mark avait l'habitude de la ligne. Il pouvait y conduire son train les yeux fermés. D'ailleurs son train c'était tout ce qu'il lui restait.

    Sa femme l'avait quitté depuis deux ans déjà, leurs enfants ne lui parlaient presque jamais. Il n'avait pas été un bon père pour eux. Il ne savait jamais comment s'y prendre. Comme avec sa femme...

    Il ne se souvenait plus de ce qui les avait poussés à divorcer. Il avait déménagé loin d'elle, dans un autre pays. Il espérait l'oublier, mais son absence la rendait encore plus présente...

    Il n'était pas sociable. N'avait jamais réussi à se faire d'amis. Il aimait bien les gens, mais il ne pouvait jamais nouer de contact avec eux. Il ne savait pas pourquoi.

    Et tout ce qu'il lui restait dans ce monde, c'était son train. Il en prenait bien soin. La machine était toujours impeccable...

    Cette semaine il y avait du brouillard, la nuit était tombée plus tôt qu'à l'accoutumée, et il n'y voyait pas grand-chose, il avait ralenti le train. Il savait qu'il allait bientôt arriver à un aiguillage. Il prenait la voie de droite. Il tira sur la poignée, déclenchant un puissant coup de sirène pour prévenir l'homme chargé de l'aiguiller qu'il devait changer la voie.

    Sur la voie de gauche, il y avait un tunnel sombre. La voie était presque désaffectée, dans un état tout juste passable, et elle menait tout droit dans cette large bouche noire qui semblait vouloir avaler les trains. L'homme posté à l'aiguillage lui fit un signe, que Mark lui rendit... puis il s'aperçut que l'homme n'était pas le même que d'habitude. En fait, en le regardant mieux, il s'aperçut que c'était une femme. Presque drapée dans une salopette aussi ridiculement longue que ridiculement large, elle portait en dessous un t-shirt rouge passé à manches courtes, et avait les bras et les pieds nus. Malgré la température, elle ne semblait pas avoir froid -alors que Mark, lui, avec la fenêtre ouverte, pourrait voir son souffle se cristalliser dans l'air...

    Elle était appuyée sur le levier de l'aiguillage, nonchalamment, comme si elle attendait à un rendez-vous. Sous sa casquette molle et trop grande, ses longs cheveux noirs volaient... dans un vent qui ne soufflait pas. Il n'y avait pas de vent.

    Mais ses cheveux volaient.

    Sans s'en rendre compte, Mark prit la mauvaise voie. La fille l'avait mal aiguillé. Il s'en rendit compte seulement lorsque la large ouverture du tunnel se profila, à seulement quelques mètres devant lui. Ce n'était pas si grave, son train était vide cette semaine. Mais cela l'embêtait tout de même. Il voulu repartir en marche arrière, tira d'un coup brusque sur la poignée de frein.

    Cette dernière lui resta dans la main.

    Le train s'engagea donc dans le tunnel.

    Après quelques mètres d'interminable obscurité que même les puissants phares du train ne pouvaient pas percer, soudain, tout le tunnel s'illumina. Mark se frotta les yeux, les rouvrit : des milliers de petits points lumineux tapissaient irrégulièrement les murs, flottaient dans l'air. Le train roulait comme sous l'eau, au ralenti, avec ces petits flocons de lumière qui nageaient tranquillement dans l'air humide et immobile, calmes et silencieux.

    Mark n'osait plus respirer, de peur de briser la paix du moment. Il sentit un grand calme l'envahir, et regarda autour de lui : il ne voyait plus ni l'entrée ni la sortie du tunnel, comme s'il était enfermé dans une espèce de bulle, avec ces petites boules lumineuses et d'aspect pelucheux.

    Il remarqua un léger mouvement en haut de son champ de vision, leva les yeux … et resta bouche bée, estomaqué.

    Des milliers de mouchoirs blancs descendaient lentement du plafond, frissonnant et virevoltant sous un vent intangible, en un gracieux ballet de tissu ou de papier. Il tendit le bras pour en attraper un, mais les carrés immaculés se dérobaient sous ses doigts et il ne parvenait jamais à les toucher.

    Alors il le vit. Le mouchoir. Celui-là était différent des autres. Les autres étaient blancs, doux, paisibles et se jouaient de lui et de ses tentatives pour les saisir.

    Celui-là était rouge. Non pas du bel écarlate d'un coquelicot dans un champ, ni du pourpre d'un coucher de soleil. Non. Le mouchoir était rouge sang. Mark tendit la main, il sentait qu'il lui fallait absolument ce mouchoir, le reste ne comptait plus, la lumière s'estompait. Plus rien ne comptait que ce mouchoir rouge éclatant, aveuglant. Le mouchoir rouge se précipita dans sa main.

    Il sourit alors, heureux : il avait compris ce que ce mouchoir rouge lui donnait...

    Il entendit alors un horrible crissement, quelque chose lui frappa la tête et tout devint noir.

    ___________

    Bulletin d'informations, faits divers : un train quasiment vide a déraillé sur le chemin de Castelbois la nuit dernière vers 21h. Une seule victime est à déplorer, le conducteur du train, Mark Dressen, un immigré de 53 ans.


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  • Voilà une nouvelle écrite pour le concours de Juliiette. C'est assez court parce qu'en fait, j'ai improvisé un truc dans les commentaires. Il y a aussi probablement quelques maladresses, mais j'aime quand même bien ces quelques lignes... PS: je suis arrivée premier avec ça! 8D I'm happy

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  • As: petit racontage de vie, je ne sais pas mais je pense que c'est important de préciser que ce texte, je l'écris dans un moment de nostalgie. De grosse nostalgie. Quand tu voudrais pouvoir revenir à ce souvenir parce que même s'il semble sans importance sur le coup, c'était mine de rien un moment heureux et que comme un con tu ne t'en rends compte qu'après coup, et que ça te fait une boule dans la gorge... Le genre de souvenir qui fait partie de la caste de ceux auxquels, si tu devais les revivre, tu n'en changerais pas une seule picoseconde. Bref, voilà, ce texte est basé sur ce souvenir, que je classe parmi ceux que je chérirai toute ma vie, dans le même panier que les batailles de peluches et les champs de maïs. Enfin, si je devais dédier ce texte à quelqu'un, la personne, si elle le lisait, se reconnaîtrait obligatoirement.

    Si tu veux le moment réflexion qui va avec ce texte, ce sera à la fin. Pour l'instant, bonne lecture!

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