• Quand ils se retrouvèrent seuls, Alpha demanda à Erwann ce qu'il s'était passé avec sa sœur. Le jeune garçon s'assit alors et invita son ami à faire de même.

    « -C'était horrible, marmonna-t-il, horrible. Horrible. Horrible. Horrible. C'était dans notre ancien village, il y a environ un an. Avant qu'on rejoigne cette place forte. Il y a déjà un an, mais il me semble que c'était hier. On était avec Annah et Line et... et puis...
    -Attends, j'ai pas suivi. C'est qui Annah et c'est qui Line ?
    -Annah c'est ma copine et Line, c'est ma petite sœur. On était tous les quatre parce qu'il y avait aussi... mon grand frère, Marcus. Je sais plus bien ce qu'on faisait, je crois qu'on ramassait du bois, j'avais quatorze ans. On avait dû garder Line parce que maman était partie je sais plus où, elle aussi. Bref, on était en train de faire vite fait nos fagots et là, putain, qu'est-ce qu'on voit... une foutue patrouille de foutus culs blancs. Pardon, je dis pas ça pour toi mais ça me fout tellement en rage d'y repenser... et ça fait mal là (il se passa la main sur le cœur), aussi. On se lève doucement, j'attrape Line, je lui mets la main sur la bouche pour pas qu'elle crie -tu as bien entendu comment elle crie, ç'aurait été un putain de désastre- et on commence à reculer doucement. Mon frère nous faisait signe de reculer doucement, pas à pas, tout doucement. On allait s'en sortir, et là, un putain de retardataire de robot, mon frère était resté derrière pour effacer nos traces, et là, on le voit surgir entre les branches en gueulant ''COURREZ !'' Il me prend la main et celle d'Annah, moi j'avais Line sur l'autre bras qui criait et on courait comme des dératés vers le village. Là-bas y'avait des hommes, là-bas y'avait des armes, on allait nous sauver et nous protéger, si on arrivait au village, on serait en sécurité. On commence à faire un putain de détour pour vérifier que le village était bien toujours comme il fallait, que tout allait bien, et là... on le voit qui flambe. Les robots étaient en train de capturer tous ceux qu'ils trouvaient et de tuer ceux qui opposaient de la résistance. On s'est bien battus. J'ai vu mon père tomber sous leurs balles. Là, mon frère me regarde et me fait ''écoute, rejoins Ankani.'' Ankani, c'est ici. ''Passe par la rivière'', il me dit, ''ils retrouveront jamais tes traces. Prends Line et Annah avec toi, mets-les en sécurité, retrouve Maman, partez loin d'ici, tous. Dis-lui, pour Papa... et pour moi.'' Et là voilà Marcus parti pour... il s'est jeté sur la patrouille qui nous poursuivait et il les a retardés, en nous gueulant de courir. J'ai pris la main d'Annah est on est repartis en courant le long de la rivière. Line criait, elle appelait mon frère. Quand je lui ai dit qu'il reviendrait jamais elle m'a frappé et frappé et frappé, elle a crié qu'il fallait que je la lâche et qu'elle allait aller le chercher si nous on voulait pas. On a retrouvé ma mère, on a suivi la rivière, je me souviens plus bien. On est arrivés ici. On était les seuls survivants avec des gamins, et deux femmes. Line n'a plus parlé, jusqu'à il y a six mois... quand je lui ai dit que j'étais un homme maintenant et qu'il allait falloir que je sorte d'Ankani, moi aussi. Elle m'a dit de lui ramener Marcus. Je l'ai pas fait... Je sais pas s'il est mort ou pas. Je sais pas ce que les tiens font de leurs captifs. Je sais pas... Et mon Annah qui vient de s'engager dans un corps d'espions... je passe mon temps à m'inquiéter pour elle, si au moins je la savais en sécurité à Ankani... Mais non. Marcus n'est plus là, mon père n'est plus là. Peut-être bientôt, mais moi aussi un jour, je ne serai plus là. Annah risque de disparaître aussi... On tombe comme des mouches et les robots se multiplient. Alpha, j'ai peur... Et si je retrouvais jamais Marcus ? »

    Sur cette question, le robot ne sut pas quoi lui répondre. Il sentit quelque chose se serrer dans son thorax, là où un peu plus tôt, il avait cru ressentir une pulsation. Mais non, ses capteurs lui jouaient des tours.

    Suite à ce récit, Alpha décida définitivement d'aider les humains. Pas juste de rester avec eux. De les aider. Pour lui, on ne pouvait pas séparer aussi cruellement des êtres qui s'aimaient. Lui ne pourrait jamais aimer, tant pis, mais ceux qui le pouvaient ne devaient pas cesser de le faire brusquement, d'un bout de métal dans le cœur.

    Alpha apprit aussi beaucoup de choses sur la véritable histoire des robots. Allez savoir pourquoi chez les robots, le Premier Robot était un criminel, activement recherché ; l'aîné des anciens qui les aurait trahis. Mais... c'est le Premier Robot qui avait créé les anciens, qui ensuite ont créé le reste des robots pour asservir et anéantir les hommes. Ces derniers se sont enfuis dans les jungles après une farouche résistance, ayant compris qu'ils ne pourraient jamais tenir les villes. Les robots doivent leur victoire surtout au grand choc climatique de 4200 depuis lequel sous ces latitudes, il ne pleut plus que quinze jours par ans, peu importe que ce fut d'affilée et beaucoup, ils n'avaient qu'à s'abriter dans leurs caissons et ressortir dès que le sol serait sec.

    « -Selon les anciens, dit Alpha, poursuivant avec un Erwann lessivé car depuis trois jours, il n'avait pas dormi en essayant avec Alpha de démêler le vrai du faux ; avant les robots étaient les esclaves des humains et ont fini par se rebeller pour gagner leur liberté. Le Premier Robot les aurait libérés en infiltrant dans leur programme un virus qui les aurait libérés du joug que posaient sur eux les hommes. Sauf qu'il y a un ''détail'' qui ne colle pas trop ! 10 millions de récompense sur la tête du sauveur universel de la civilisation robotique, c'est une drôle de façon de le remercier que de le traiter en criminel, non ?
    -Voui, marmonna le jeune garçon. Zans compter gue, bizarrement, augun robot n'a l'air de ze zouvenir, d'abrès ze gue du m'as dit, de zon pazzé d'ezglave. Z'est bizarre... »

    Sur ces mots il nicha sa tête dans ses coudes à côté de son bol de café et... s'endormit. Alpha fit intérieurement la moue avant de se dire que tout de même, il aurait dû l'envoyer au lit bien plus tôt, cela faisait plus de 72h que durait cette conversation. Annah ne devait revenir que le lendemain, aussi Erwann avait-il « oublié » d'aller dormir. Il porta son ami à son lit en s'insultant intérieurement de tas de ferraille débile et déboulonné.

    Il décida d'écrire la bonne version de l'histoire d'après les bouquins d'Erwann, ce qu'ils en avaient dit et la version officiel des robots.

    Vers 4150, le Premier avait été créé on ne savait trop pourquoi par un type du nom d'Harry Wiljon, cela contrevenant aux lois en vigueur suite à une précédente révolte de robots, il avait été arrêté. Le Premier s'était enfui dans la nature, mais avait réinvesti par la suite l'atelier de son créateur pour fabriquer les Anciens. Il avait d'abord créé Sans-Visage et la Faux, mais ce dernier avait été détruit six ans plus tôt par un gamin de huit ans -Erwann lui-même, qui lui avait balargué un seau d'eau dans la figure avant de se prendre le jus en lui collant un coup de pied. Erwann lui, avait passé quelques mois dans le coma avant qu'un mec qui n'avait pas de nom ni de visage le fasse revenir à la vie. Les suivants des Anciens avait été la Tête et la Brute, puis les Cinq. Les Anciens étaient neuf, en tout. Les Cinq seuls savaient créer des robots et c'était également eux qui s'occupaient des captifs. Alpha ne savait pas trop s'il n'y fallait voir qu'une coïncidence ou pas.

    Mais les Anciens, suite à un virus informatique, avait échappé ainsi semblait-il que leur armée de robots au contrôle du Premier, qui s'était alors enfui et avait disparu dans la nature. Les Anciens avaient alors décidé d'asservir l'humanité. Ils avaient plutôt bien réussi sur les premières villes, en brouillant les communications, mais la plupart des humains survivants avaient échappé au filet pour avertir leurs congénères et ces derniers avaient pris le maquis. Suite à une grosse explosion sur la face Sud du globe, l'axe d'inclinaison de la Terre avait changé et un immense choc climatique était survenu, faisant quasiment cesser les pluies. Grâce à cela, les robots qui craignaient l'eau mais pas la sécheresse, à l'inverse de leurs adversaires, les avaient gagnés. Quelques poches de résistance humaines, dont Ankani (qui n'était en fait qu'un fort mineur au milieu de plus grands comme Daranka, Drusseln, Eknantia ou Salnis, la capitale humaine étant située en plein cœur de la forêt, à Grehennjad) étaient demeurées, que les robots essayaient avec plus ou moins de succès -un an plus tôt, lui avait appris Erwann, c'était Dralgaard qu'ils avaient détruit- d’annihiler, mais plutôt moins que plus d'après une carte d'Erwann. Il la mettait à jour à chaque sortie.

    « -Tu vois, lui avait-il expliqué, les blanches, c'est les cités robots. Les jaunes, c'est les places fortes, les bleues des truc mineurs. (il avait désigné un point bleu en haut de la carte) Nous, on est là. Ankani. (il attrapa son blanco et rajouta un point blanc à quelques centimètres du point bleu qu'il venait de montrer) là, c'est la ville d'où tu viens, qu'on ne connaissait pas. J'ai appris qu'elle se nomme Dressenker en surveillant les entrées et sorties. Et tu vois le tas rouge, là, c'est Grehennjad. »

    Grehennjad était située bien loin de tous les avant-postes robotiques. Selon Erwann, les murs étaient deux fois plus hauts et trois fois plus larges qu'à Ankani, et en pierre en plus.

    « -Et les noires ?, demanda Alpha.

    -Les villages détruits. Regarde. Dralgaard, là où j'ai grandi. Eksenstis, je n'y ai jamais été et personne n'en est revenu... Krijalk, un avant-poste paumé dont on a appris il y a trois mois qu'il avait été bousillé il y a au moins le double. Et puis Henkis, ça c'est le plus gros fort que vous ayez pris. Au bout de deux mois de siège, il a plu. Il a fallu tout recommencer trois semaines après. Et ça a pris presque un an. J'étais tout gamin à l'époque... Voilà, juste ces quatre-là. »

    Les robots organisaient mal leurs patrouilles, jugea Alpha, parce que les Anciens étaient guidés par la volonté que personne ne découvre ce qu'ils avaient fait. Ou alors ils voulaient faire croire que les humains avaient été quasiment éradiqués et là, c'était foutrement bien réussi.

    Alpha rangea ses fiches à l'aube, il avait tout fini. Son écriture propre et nette courait d'un bord à l'autre de chaque feuille, parfois coupée par celle d'Erwann, plus brouillonne et précipitée. Il relut tout... et fronça les sourcils.

    Personne ne savait ce qu'était devenu le Premier Robot... Personne ne savait pourquoi le Premier Robot avait été créé, à part peut-être le Premier lui-même. 

    Et cette Histoire montrait clairement que c'étaient les robots qui avaient attaqué en premier contrairement à ce que prétendaient les Anciens...


    votre commentaire
  • Le 5 avril 4728 -quinze heures et huit minutes.

    « -Aaaah, mais putain, mais FAIT CHIER !

    -Un, deux... deux gros mots, deux kseks. Allez, aboule le fric !

    -Non mais, je crois qu'on s'en bat les couilles de tes questions de vocabulaire, répliqua Erwann à son comparse. Alpha répond pas ! (dans son micro) Alpha, coucou, enfoiré de mes deux, réponds sans toi on est dans une merde noire comme les épingles sur ma carte !

    -La boîte à gros mots va éclater à ce train-là. Ça craint, on rapatrie les troupes, nan ? Si Alpha est hors-coup, ça sert plus à rien... Et en plus ça risque de chauffer sévère pour eux sans ses indications, si jamais ils se font choper avant d'arriver à la prison...

    -Un petit peu, ça craint sec oui ! Mais évidemment que ça va chauffer sévère pour eux ! Aucune infiltration n'est possible sans Alpha ! Putain d'enfoiré mais qu'est-ce qu'il branle ?! Et en plus...

    -L'enfoiré t'entend, crachota la voix d'Alpha, Sire-j'enrichis-les-fonds-nationaux-grâce-à-ma-vulgarité ! Tiens toi un peu ou dès que je te chope je t'en décolle une tu vas voir, ça va barder ! Au fait, ton idée de me déguiser en la Faux était géniale.

    -Non mais tu me refais plus jamais un coup comme ça putain, j'ai flippé ma race ! On peut savoir pourquoi tu répondais plus ?

    -C'est une longue histoire, dès que je te croise on se pose autour d'un café et je te la raconte. Et, sinon, tu vas rigoler (le robot eut un rire nerveux), ma couverture est foutue, j'ai une jambe en moins et, oooh... ma plaque de devant va se viander d'une façon magistrale dans un futur très proche... Je vote pour qu'on enclenche direct le plan B comme Bon-ben-d'accord puisque le plan A comme Alpha-est-un-crétin-trop-sûr-de-lui a eu quelques SOUCIS TECHNIQUES COMME UNE JAMBE COUPEE !

    -Pardon ? Je croyais que ça nécessitait une aide intérieure ?! Non mais attends putain comment ça se fait qu'il te manque une jambe et puis on avait pas dit ça, on avait dit...

    -Ouaip, je m'en rappelle hein. Qu'on ferait planter les Anciens et qu'on dirait la vérité aux autres, qu'on ferait un remake de la Pax Romana et enfin bon, j'en chie là alors écoute, j'ai retrouvé le Premier Robot ! Laisse tomber le reste, on passe à la solution de rechange... »

    Comme l'avait dit le robot, c'était une longue histoire...


    votre commentaire
  • Date et heure inconnues.

    Il fait froid dans les cellules des robots. Peut-être parce qu'ils n'ont pas besoin de chaleur... Mais il fait trop froid pour des prisonniers humains sans rien d'autres que des chiffons de vêtements sales pour les garder au chaud. Les fers humides et glacés blessent ses poignets et ses chevilles, éraflent la peau nue et déposent dessus de la rouille. Leur poids la fait souffrir dès qu'elle esquisse un mouvement pour détendre ses bras et ses jambes endoloris. Jeunes ou vieux, quelle importance, de toutes façons, ils mourront tous ici. Elle a déjà subi leurs prélèvements. Ils ont enlevé un bout de sa peau, de ses cheveux, noté la couleur de ses yeux, ils lui ont fait une prise de sang... Et tout un tas d'autres choses dont elle ne se souvient plus. Ils ont vérifié que ses organes marchaient bien. Elle aussi, elle va...

    Et ce sera bientôt. Elle va finir comme les autres. Avant ils étaient quatre dans la cellule, trois autres humains contre qui se blottir lorsqu'on a trop froid, trois compagnons attachés au mur à côté de toi. Un garçon qui lui rappelait son chéri, même si, les dieux en soient remerciés, ce n'était pas lui. Parce que ce garçon est parti lui aussi. Et maintenant il n'y a plus qu'elle ici, transie de froid, rencognée contre un mur de pierre humide et froide, le plus loin possible de la grille de la cellule. Une larme coule sur sa joue, dans un ploc humide, tombe sur le sol. La suivante vient se nicher au creux de ses lèvres, qu'elle lèche sans cesse dans un réflexe. La larme a le goût de sel. Elle essuie rageusement les traînées humides sur ses joues. Un humain ne pleure pas face aux robots.

    Tant qu'elle a un cœur elle ne doit pas leur faire la faveur de pleurer. Non. Jamais. Ne verser aucune larme. Elle sait qu'elle finira comme eux, une créature sans âme, sans cœur, sans sentiments. Ni plus ni moins qu'un programme. Rien d'autre.

    Mais son cœur, tant qu'il est là, cogne contre ses côtes. Elle ferme les yeux et appuie la tête contre le mur...Elle se souvient... Quand elle est revenue il y a trois ans. Un robot était assis dans la cuisine, les caméras collés sur les pattes de mouches d'Erwann. Il était en train de griffonner sur sa carte, marquant l'emplacement de quelques villes en ruine qu'il avait découvertes en vert clair sur le vert sombre qui représentait la forêt et l'or passé qui montrait les étendues de sable.

    « -Si on se réfère à tes notes, avait marmonné le robot, la plus au nord c'est Eknathon, la plus au sud, c'est Jorka, celle que tu es en train de marquer s'appelle... Grenjis ? Punaise, je peux pas te lire là t'as écrit trop petit.

    -Si, c'est bien Grenjis. Avec une mine de cuivre. Et la dernière ?

    -Anghara.

    -Hm. Là-bas y'avait que du sable et des cailloux, mais y'avait aussi une belle source souterraine et des arbres. Un bon endroit pour mettre une place forte. J'irais bien fonder une colonie là-bas. »

    Elle était alors intervenue :

    « -Où est-ce que tu comptes partir sans moi, toi ?

    -Euuuh, nulle part, avait répliqué Erwann en se retournant d'un bloc, rouge comme une pivoine. »

    Mais ces temps-là étaient bien loin... Trois ans s'étaient passés. Ils avaient investi Anghara et y avaient établi des plans pour renverser les robots, tout était centré sur les Anciens. Neufs Anciens qui dirigeaient tout, étaient le nœud, la clé, la base de tout. Il suffisait de faire disjoncter les huit qui restaient comme Erwann l'avait fait quelques années plus tôt avec la Faux. C'était si simple...

    Et puis ils étaient venus sur Anghara. Sur Grenjis aussi, mais sur Grenjis il n'y avait personne à cause du cuivre qui risquait de les attirer, et Grenjis était dur à défendre. Ils les avaient repérés bien avant qu'ils arrivent, ils s'étaient donc cachés, mais elle était restée en arrière pour les couvrir avec son escouade et ils avaient été capturés. Elle ne savait pas ce qu'étaient devenus les autres. C'était il y avait environ un an...

    Elle a si froid et il fait si noir qu'elle ne peut presque plus se rappeler la douceur et la chaleur du soleil d'Anghara, la lumière éclatante de ses rayons sur le sable jaune... Elle referme les yeux et se laisse repartir dans ses souvenirs. Ils sont tout ce qu'il lui reste. Même si la fièvre la fait divaguer à voix haute, elle n'a pas pleuré.


    votre commentaire
  • Le 5 avril 4728 – quinze heures et cinq minutes.

    Alpha avait grillé sa couverture. A une porte ouverte qu'il avait passé sans méfiance, il fallait en réalité taper un code ou elle se refermait sur vous. Évidemment, ça n'avait pas raté. Par un réflexe fulgurant il s'était projeté en avant, évitant de justesse le tranchage pur et simple de son corps en deux, qui aurait marqué et la fin de sa vie et celle de sa mission.

    Non, à la place, sa jambe avait juste été sectionnée au niveau du genou. C'était génial. En y collant un quelconque bout de tuyau il pourrait continuer à marcher... Encore fallait-il qu'il trouve le dit bout de tuyau.

    Il cherchait du regard autour de lui et en bougeant ses grandes oreilles de gauche et de droite pour vérifier que personne ne venait quand soudain retentit un léger écho. Le sol était parcouru de vibrations infimes. Il jura mentalement, égrenant toutes les grossièretés qu'il connaissait, se dressant sur ses bras pour essayer de se traîner dans un coin qu'il avait remarqué et dans lequel il pourrait se cacher. Une sensation sourde montait de son genou tranché, qu'il ne reconnaissait pas et qui lui paraissait pourtant familière.

    Un flash remonta de sa mémoire, à l'emplacement de ses oreilles et sur les côtés de sa tête, la même sensation, accompagnée d'un hurlement rauque et grave. Il ferma les yeux et trouva devant ses pupilles un écran rouge... et une scène se joua devant ses yeux. Il vit des couloirs blancs où des robots avançaient autour de lui. Il était couché contre des trucs blancs et doux, attaché sur un brancard qui avançait. Les mots « composante » et « robot » résonnaient au milieu de phrases floues qu'il ne comprenait qu'à moitié. Ses muscles se tendirent lorsqu'il comprit on l'emmenait. Il baissa la tête pour regarder devant lui, une porte vert d'eau barrait le passage, qui s'ouvrit lorsqu'un des robots présenta son passe. Deux mains apparurent sur les côtés de son corps, crispées et tendues... Détail qui le frappa, les mains étaient humaines.

    Il se cambra pour essayer de se libérer en faisant craquer ses liens mains il avait perdu sa force, et les sangles ne firent qu'entailler sa peau, ramenant encore cette sensation sourde dans sa poitrine.

    Il savait ce qu'on faisait des prisonniers.

     

    Alpha, les deux mains sur le crâne, se mit à hurler dans le couloir vide, les caméras fixées sur un angle de mur qu'il ne voyait pas.

    Un immense cri accompagné d'un claquement sec, et sa mâchoire inférieure, blanche et métallisée, tomba sur le sol dans un bruit mat, rebondit, roula et s'arrêta... aux pieds d'un minuscule robot. Un mètre dix au plus. Il avait les proportions d'un enfant humain, de longues mèches enroulaient leur blondeur teintée de roux jusqu'à ce qui se marquait comme étant sa taille. Ce robot, fait étrange, portait une robe dont la coupe était à la mode chez les humains il y a deux cents ans, bleue passée et ornée d'immenses fleurs d'un jaune pétant. Un imprimé, réalisa Alpha -sans savoir ni d'où il tenait cette information ni à quoi elle pourrait lui servir.

    L'intrus se baissa pour ramasser la mâchoire et sauta à cloche-pied jusqu'à Alpha. Sa voix grésillante sortit comme de nulle part, sans que le robot ne bouge d'un pouce son visage fin et bien dessiné. La voix était entrecoupée de parasites et sortait comme diffusée d'un vieil haut-parleur -le son était saturé et de mauvaise qualité...

    Alpha ne comprit pas ce qu'on lui demandait -la phrase était articulée comme une question humaine, avec le ton montant à la fin, sans le « réponse demandée » propre aux robots. Il enleva les mains de sa tête, la releva en s'appuyant sur ses bras -qui le lâchèrent. Renonça. Et demanda au petit robot de répéter.

    « -Tu as besoin d'aide ? »

    Le petit intrus s'était assis en tailleurs devant Alpha et jouait à faire tourner la mâchoire décrochée sur son index.

    « -C... c'est pas de refus, bégaya Alpha. »

    Il se tut, stupéfait. Sa voix avait perdu ses accents métalliques et était désormais plus grave. Elle devenait d'ailleurs de plus en plus grave à chaque mot qu'il prononçait.

    « -Tu..., reprit-il, tu n'aurais pas une jambe à me prêter ? Je jure de te la rendre après.

    -J'ai pas de jambe en plus. Seulement les deux miennes... et j'en ai encore besoin.

    -C'est... fâcheux, marmonna Alpha pour lui-même. J'ai un problème.

    -C'est toi qui veux détrôner les Anciens. Et tu recherches toujours la vérité sur les robots.

    -Restaurer l'harmonie, mettre fin à cette guerre stupide... J'ai un ami qui y a perdu un père et un frère, et une compagne... Et il ne sait pas pourquoi.

    -C'est une grande tâche. »

    Alpha monta sa main à son menton...


    votre commentaire
  • Le 8 septembre 4726 – trois heures et sept minutes.

    Erwann arriva dans la cuisine sur la pointe des pieds, en s'éclairant avec sa lampe de poche. Il mit immédiatement sa main devant le faisceau lumineux en apercevant la silhouette assise sur une chaise, et étouffa un juron entre ses dents serrés. Qui pouvait bien dormir dans la cuisine ?!

    Probablement quelqu'un qui était resté tard à parler avec Alpha et s'était endormi. Il sortit un verre du placard en tenant sa lampe de poche contre lui de façon à ce que le rayon n'éclaire que l'intérieur du meuble. Il ne referma pas la porte dans un souci de discrétion et saisit la bouteille d'eau sur le plan de travail, remplit son verre le plus doucement possible et reposa la bouteille en plastique dans un minuscule bruit qui lui fit serrer les dents et plisser les yeux.

    Il but le plus doucement possible et alla déposer son verre dans l'évier sans faire de bruit. Content de son silence, il leva les poings à hauteur de sa tête, coudes fléchis et ferma les yeux dans un geste victorieux et se trémoussa quelques secondes, savourant sa discrétion comme si elle était la victoire qui allait mettre fin à la guerre.

    Un immense éclat de rire déchira le silence et la lumière s'alluma. C'était Alpha, qui ne dormait jamais, qui s'était installé dans la cuisine pour réfléchir et avait suivi de près toute la pantomime stupide qu'Erwann avait fait pour ne pas faire de bruit. Le robot, un verre d'eau à la main, projeta son contenu sur son ami, riant à gorge déployée.

    « -Saloperie ! Mais pourquoi ?

    -C'était marrant. J'ai filmé en plus. Je le montrerai à Annah demain.

    -Non mais, pourquoi le verre d'eau ? Je sais bien que j'avais l'air d'un ahuri.

    -Ça te rafraîchira après ta nuit agitée, répliqua Alpha d'un air vicieux.

    -De quoi tu parles ?

    -Tu sais, je suis fier de toi. Non mais plus sérieusement, vous auriez pu être plus discrets, quand même. Y'en a qui ne dorment pas ici, et qui sont frustrés par un vide à un certain endroit (la main à hauteur de son épaule, il pointa le bas de son index, tous les autres doigts repliés).

    -C'est pas ce que tu crois, vieille andouille... Elle a piqué une crise de nerfs, elle a pleuré pendant super longtemps et la preuve c'est qu'elle vient de s'endormir... (Erwann, less bras croisés, prit un air bougon) de toutes façons, je mourrai vierge. C'est mon signe astrologique.

    -Et ton torse a du constituer un oreiller confortable. Tu es trempé, mon pauvre vieux.
    -Mais c'est toi qui m'a lancé cette foutue flotte à la tronche...

    -C'est pas faux... mais moi je suis responsable que de celle qui a trempé ton pantalon de pyjama. Pendant qu'on en parle d'ailleurs, je ne sais pas qui l'a choisi mais tu devrais peut-être l'informer de ton âge exact, genre, la dizaine en plus des six unités. Je crois qu'on t'a pris un pyjama pour bébé... Enfin tu devrais t'estimer heureux que ce ne soit pas une grenouillère. »

    Erwann baissa les yeux sur son pantalon de pyjama bleu clair à nounours. Et capta que cette immense tache qui s'étalait de l'élastique à mi-cuisses, c'était l'eau que lui avait lancé Alpha. Le pantalon le collait d'ailleurs d'une façon gênante.

    « -Je jure que tu vas me payer ça... Pas tout de suite mais un autre jour. Espèce d'ignoble petit foireux.

    -Bon, plus sérieusement, lui répliqua Alpha d'une voix soucieuse, pourquoi elle pleure ta copine ?

    -Tu sais, elle et moi on fait partie de la prochaine sortie...

    -Bah, moi aussi. Et moi, personne me chiale dessus pour autant ! Donc, et alors ?

    -Espèce de gros malin, tu crains peut-être pas les balles mais nous si. Elle a peur qu'il nous arrive quelque chose.

    -Deux choses : une, je suis le gilet pare-balles d'un peu tout le monde donc bon, et deux, il pourrait arriver bien pire que de se prendre une balle (il réfléchit quelques secondes) mais ça, va pas lui répéter, sinon elle va péter une durite, mais d'une force...

    -Et s'il y a une averse ?

    -Il pleut en décembre. Au pire, le combo bottes en caoutchouc+parka fera l'affaire le temps de rentrer me mettre au sec.

    -Bon... Je remonte, je dois faire convenablement mon travail d'oreiller si je veux être payé en fin de mois.

    -Ah parce que vous faites ça qu'une fois par moi ? Ben, tu m'étonnes qu'elle pleure... Tu dois être horrible sur ce terrain-là, non ?

    -Non mais ça te regarde pas !

    -AAAAAAAAAAAAAAAAHHHH J'AI RAISON ALORS !, hurla Alpha d'un air triomphant.

    -Mais arrête de gueuler comme ça, espèce de petit... » siffla Erwann en tendant les bras vers le robot, une grimace furieuse sur la figure et jetant un œil vers la porte, mais s'interrompit.

    Alpha ne sut jamais exactement ce qu'il était. La fine silhouette d'Annah se découpait dans l'encadrement, se frottant les yeux d'un poing et l'autre main en visière pour se protéger de la lumière.

    « -Erwann, demanda-t-elle, t'es là ? (puis elle vit Alpha, mort de rire, les bras levés pour se protéger de l'adolescent) Oh, je dérange peut-être...

    -Non, du tout, répondit son copain en se redressant, d'ailleurs, je dois te présenter l'être le plus raffiné...

    -Cool, je suis raffiné. Merci très cher, c'est un insigne honneur ; répliqua l'intéressé.

    -... mais aussi, termina Erwann, le plus énervant de tous les temps. Je l'aime bien quand même mais des fois il est... »

    Sa mâchoire se décrocha quasi-littéralement : Alpha venait de poser un genou en terre devant Annah et lui fit un baisemain. Sans libérer ses doigts, le robot déclama d'une voix pompeuse :

    « -Alpha, pour vous servir, gente damoiselle. Je peux vous assurer qu'aucun projectile constitué de métal ne vous atteindra, ni vous, ni l'autre là, derrière...

    -Hey oh ! (Erwann venait de recouvrer la parole) Non mais tu t'es regardé ?!

    -... ouais, enfin du moins tant que je serai présent et en état de fonctionnement. Et ce juste pour vos beaux yeux.

    -Mais... (Erwann encore, les yeux exorbités fixés sur Annah sur le visage de laquelle se dessinait un pâle sourire) je t'y prends à draguer ma copine, toi !

    -Mais nan, répondit Alpha en se relevant d'un geste souple, tu sais bien que je suis pas outillé pour ça et...

    -Bref, le coupa Erwann, lui c'est Alpha.

    -Quel cuistre je fais ! s'exclama ce dernier d'un air théâtral surfait en se frappant le front. Tu me vois fort marri d'avoir jeté aux oubliettes comme un vieux puant la plus élémentaire des politesses : je suis un robot, doté d'un humour outrecuidant et d'un caractère de chiotte. Et accessoirement le nom d'une lettre grecque.

    --Dites, intervint Annah, vous allez me la refaire à chaque fois cette scène ?

    -Voilà. Je vous laisse entre humains, j'ai une douche à prendre (il esquissa un geste vers le robinet).

    -Mais, je croyais que l'eau... objecta Annah en fronçant les sourcils.

    -Oui, c'est le cas. C'était une blague. Je me déconnecte trente secondes... c'est une histoire de tri de données. (se tournant vers Erwann) Préviens moi quand tu as besoin de moi. »

    Alpha s'assit dans un coin vide de la pièce et remonta ses genoux contre sa poitrine. Il rejeta sa tête en arrière et les écrans démesurés de ses yeux, devant les caméras, s'opacifièrent et s'assombrirent, prenant une teinte mate digne d'un papillon de nuit. Ses épaules bougeaient comme sous l'effet d'une respiration très mesurée.

    « -Erwann...

    -Oui ?

    -Tu crois que ce qu'on dit c'est vrai ?

    -Que les robots seraient faits à partir d'humains ? Quand j'ai détruit la Faux, j'aurais mis ma main à couper que non. Mais en voyant Alpha... non mais regarde-moi ça. On dirait qu'il respire. Ça me paraît moins dingue que les robots soient en réalité des cyborgs... Leurs corps ont juste été améliorés physiquement. Regarde les articulations d'Alpha. Ce ne sont pas du tout les mêmes que celle des premiers robots soldats -ils ressemblaient plus à des araignées et étaient plus efficaces sur le terrain. Mais à mesure qu'ils s'abîmaient, que le métal rouillait et que leur programmes devenaient obsolètes et insuffisants, des robots humanoïdes les ont remplacés, qui étaient bien moins forts et bien plus fragiles. Alors pourquoi ? La matière première se raréfiait... alors ils ont utilisé des humains, dans une logique d'amélioration du rendement. Une araignée perdue représente une tonne et demie de matériaux, données et armes en moins. Un cyborg perdu... bah ils s'en foutent. Donc oui, ça me paraît moins dingue. Et d'ailleurs cette histoire d'eau c'est de la merde. Je l'ai compris en voyant Alpha courir en marchant comme toi et moi dans des flaques qui auraient dû le faire disjoncter. Et le premier jour où il était là, le sol était couvert de boue. Ça ne l'a pas empêché de s'asseoir dedans pour jouer avec les enfants...

    -Tu crois qu'on doit lui dire ?

    -Euh, occupe-t'en, hein. Il va déprimer et... oh, attends, mieux. »

    Il saisit la bouteille d'eau qu'il n'avait pas rebouchée et... la renversa sur la tête d'Alpha. Qui sursauta et se mit à crier tandis que ses écrans redevenaient brillants :

    « -MAIS PUTAIN MEC QU'EST-CE QUE TU FOUS ?! Oh attends... c'est de l'eau ?!

    -Nan, ironisa son ami, c'est de l'acide nitrique. Sûr, que c'est de l'eau !

    -Mais... qu'est-ce que...

    -Bon, se lança Annah. Erwann ne veut pas te le dire, mais en fait nous pensons que tous les robots sont des humains amnésiques dont les corps ont été améliorés physiquement avec de la biomécanique. C'est pour ça que vos programmes sont aussi développés. En fait, ce n'est pas un programme, c'est un vrai cerveau humain. Si on enlève les plaques, je suis certaine qu'il y a de la peau en dessous.

    -Vérifiez sur quelqu'un d'autre, je suis déjà assez choqué comme ça pour ce soir, moi. C'est comme si... »

    Il ne finit pas sa phrase. Cette nuit-là semble dédiée aux phrases non finies, pensa Erwann.

    « -Faire tomber un robot dans les vapes, fait. On va mettre une croix sur le calendrier, annonça-t-il d'un air très sérieux.

    -Tu sais bien... que c'est pas un robot, lui reprocha Annah.

    -Ouais... je me demande qui c'était, avant.

    -Qui c'est. L'amnésie, ça se soigne. On apprend ça en cours de biomed'. T'aurais dû y aller, c'était vachement intéressant.

    -Mais rappelle-toi, on s'était mis en cheville : tu m'apprenais la médecine et moi je t'apprenais l'informatique...

    -Ouaip, résultat, on l'a jamais fait. C'est le moment de s'y mettre, non ?

    -Comment te dire..., hésita Erwann, haha, tu vas rire... j'ai pas gardé mes cours.

    -Moi non plus. »

    Bras dessus, bras dessous, ils se dirigèrent vers la bibliothèque en se promettant de prendre du temps pour s'expliquer ce qu'ils avaient appris dans leurs cours respectifs.


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique